Il faut manifester sans trêve

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Nous faisons notre l’interpellation de Christophe Laluque, co-président de Scènes d’enfance–ASSITEJ France. L’intitulé de cet appel est inspiré de Charles Baudelaire : « Il faut vous enivrer sans trêve »  (Le spleen de Paris, 1869.)

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    Avec la jeunesse et dans la joie, à partir d’aujourd’hui, il nous faudrait toutes et tous retrouver l’envie de manifester. Puis, dans tous les endroits que nous traversons ensemble, ne plus jamais cesser de manifester. Dans les rues, les jardins, les théâtres… Manifester sans trêve.

    Pour la sauvegarde des mots, des images, des lumières et des sons accordés avec intelligence. Pour soigner la poésie, l’imaginaire et l’émotion partagée. Pour la défense d’un art qui nous divertisse de la vulgarité et du sensationnel : être en état de manifestation permanente.

    Manifestons pour dire l’état du monde, dire ce que l’on risque, dire ce que l’on ne veut pas. Manifestons contre l’ignorance, le mensonge, la paresse et la publicité. Contre la bêtise, la violence, le silence, la barbarie, le racisme et la cupidité.

    Pour l’écoute et la parole de chacun.e, le débat et le savoir. Pour que chacun.e puisse dire, avec nous, ce qu’iel a à dire. Le chanter, le danser, l’exprimer comme iel le sent. Pour le maintien d’une culture qui dérange, surprend, agace, réveille, démonte les idées reçues. Pour une culture affranchie des rapports toxiques et commerciaux. Manifestons pour l’exigence d’un art appliqué avec patience, constance, attention et soin : des textes interprétés avec humilité, des sentiments sincères, des gestes retenus. Pour la simplicité, la sobriété, la beauté. Dans l’état du monde actuel, toute création est désormais une manifestation.

    Manifestons contre ceux qui détruisent la planète, avec celles et ceux qui la protègent, contre le règne de l’argent, contre l’injustice… Manifestons pour rappeler tous les holocaustes. Pour entretenir la colère et la sagesse. Pour défendre le peu de l’essentiel, le temps précieux, les lieux publics et les jardins où l’on cultive l’utopie. Pour comprendre la complexité du monde, la nature humaine, l’univers.

    Manifestons pour que l’accès à l’art, l’accès à l’eau, l’accès aux paysages, l’accès aux soins, l’accès à l’éducation, tous les biens communs de notre humanité, soient gratuits pour toutes et tous.

    Manifestons pour une plus juste répartition des richesses. Et typiquement dans la culture, particulièrement dans le spectacle vivant, spécifiquement pour le secteur jeune public. Pour dénoncer les budgets iniques de certaines collectivités qui croient peut-être qu’en travaillant pour les enfants, les professionnel.le.s  jouent à la marchande avec des pièces imaginaires ! Un théâtre à Paris, comme dans d’autres villes, une compagnie, n’importe quel•le artiste, n’importe quelle activité, est scandaleusement moins bien soutenue par les financements publics ou privés, dès lors qu’elle s’adresse spécialement à la jeunesse. Ce sont des enjeux politiques et sociétaux que porte Scènes d’enfance-ASSITEJ France. Manifestons pour défendre les budgets alloués à l’enfance et la jeunesse ! Manifestons pour ne pas disparaître !

    Et si l’on se surprend un soir à somnoler, vautré au fond d’un fauteuil d’orchestre d’un théâtre qui ronronne, ou le matin avec l’envie de manifester quelque peu fatiguée, courons vite à la première représentation scolaire qui se présente. Et nourrissons- nous de toutes celles et ceux qui bougent, qui murmurent, qui rient, qui crient. Demandons aux bébés, aux enfants et aux jeunes, au soleil qui se lève, à tout ce qui prend naissance, demandons-leur ce qu’il faut faire. Iels nous diront de manifester sans attendre.

( par Christophe Laluque – septembre 2022 )

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Merci à Christophe Laluque et à Scènes d’enfance qui nous permettent ce partage.

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À 16 ans, Christophe Laluque rencontre le théâtre au Théâtre Populaire de Champagne. ll suit une formation de comédien avec Jean Brassat, Bruno Sachel, Marc Spilmann et Christian Jéhanin. Il obtient, avec Jean Jourdheuil, une maîtrise de Lettres au département théâtre de l’université Paris X. Il sera assistant à la mise en scène de Christian Peythieu (au CDN de Béthune), de Pierre Barayre et de Marc Baylet-Delperrier. Pendant huit ans, il réalise, sur Radio Aligre, une émission d’entretiens radiophoniques avec des personnalités du théâtre. Il joue pour Pierre Barayre, Marc Soriano, Julien Bouffier et Marc Baylet-Delperrier, avant de se consacrer exclusivement à la mise en scène en créant sa compagnie, l’Amin Théâtre, en 1984. Premier spectacle mis en scène : Aden Arabie d’après Paul Nizan. Parmi les auteurs qu’il met au plateau : Bertolt Brecht, Gertrude Stein, Alphonse Daudet, Rainer Maria Rilke, Robert Walser. Il privilégie désormais les auteurs vivants (Marc Soriano, Patrick Lerch, Jon Fosse, Gilles Clément). Directeur du Théâtre de l’Envol à Viry-Chatillon (Essonne) de septembre 2005 à juin 2011, Christophe Laluque quitte l’endroit pour cause de municipalité hostile et il installe sa compagnie dans la ville voisine de Grigny, « L’Amin Théâtre défend à travers ses créations un théâtre tout public en diffusant les écritures contemporaines dans des mises en scène qui permettent à chacun, enfants comme adultes, de s’identifier à l’histoire à travers ses différents niveaux de lecture. Les créations de la compagnie sont intimement liées à nos projets de territoires. Et nos questionnements sur les publics, notamment éloignés de la culture, nous conduisent sans cesse à développer de nouvelles actions culturelles. » Christophe Laluque est actuellement directeur et programmateur du Théâtre Dunois, scène parisienne pour la jeunesse. Il y présentera prochainement une adaptation de Mon Bel Oranger de José Mauro de Vasconcelos. Il avait, en 2009, créé Au panier ! d’après l’album de Henri Meunier et Nathalie Choux paru au éditions du Rouergue.

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