Ralentissons

 

Pour sa trente-cinquième édition, le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis fait, à Montreuil, du mercredi 27 novembre au lundi 1er décembre 2019, l’éloge de la lenteur. A l’occasion de la Journée internationale du livre pour enfants de 2 avril 2019 (Children’s international book day), l’écrivain et illustrateur lituanien Kęstutis Kasparavičius avait adressé au monde, sous l’égide de l’Ibby (Union internationale pour les livres de jeunesse), ce message prémonitoire.

Les livres nous aident à ralentir

    « Je suis pressé ! Je n’ai pas le temps ! Au revoir ! », ce sont des exclamations qu’on entend, probablement, non seulement en Lituanie, au cœur de l’Europe, mais également un peu partout dans le monde. Tout comme on entend souvent argumenter que nous vivons dans une époque d’abondance d’informations, de hâte, de précipitation.

    Mais d’un coup, quand on prend un livre, on se sent un peu différemment. Il semblerait que les livres aient une qualité remarquable : ils nous aident à ralentir. On ouvre un livre, on plonge dans ses calmes profondeurs, et on oublie la peur que tout passe à une vitesse incroyable, sans qu’on puisse voir quoi que ce soit, sans rien voir. On commence à envisager la possibilité de laisser de côté, sans précipitation incontrôlable, des tâches dont l’urgence fait douter. Dans le livre, tout se passe silencieusement, calmement, en suivant un ordre établi. Peut-être en est-il ainsi puisque les pages du livre sont numérotés, avec des petits nombres ? Puisque le murmure de ces pages est si calme, si léger, quand on les tourne, les unes après les autres ? Dans le livre, tout ce qui a déjà eu lieu dans le passé va doucement à la rencontre de tout ce qui va arriver à l’avenir.

    Le monde du livre est très ouvert ; la réalité, amicale, y rencontre l’irréel, la fantaisie. Alors parfois, on ne sait plus où on a vu, dans le livre ou dans la vie, la beauté des gouttes de la neige fondue qui tombent du toit d’une maison, la joliesse de la clôture mousseuse d’un voisin. A-t-on appris du livre ou du monde réel que les baies du sorbier sont belles, mais aussi amères ? Dans le monde du livre ou dans le monde réel on restait allongés, en été, dans l’herbe, assis ensuite, jambes croisées, à observer le mouvement des nuages dans le ciel ?

    Les livres nous aident à ralentir, les livres nous enseignent comment observer, les livres nous invitent, les livres nous forcent même à rester assis. Car le plus souvent, nous lisons assis, le livre sur une table ou sur nos genoux, n’est-ce pas ?

    N’avez-vous pas déjà vécu encore un miracle : quand vous lisez un livre, le livre vous lit ? Oh oui, les livres savent lire. Ils lisent votre front, vos sourcils, vos lèvres qui bougent, d’abord vers le haut, ensuite vers le bas, mais surtout, bien entendu, ils lisent vos yeux. Et à travers vos yeux, ils voient… Vous savez très bien ce qu’ils voient !

    Je suis certain que les livres sur vos genoux ne s’ennuient pas, pas un seul instant. Car celui qui lit, qu’il soit enfant ou adulte, est bien plus intéressant, cela va de soi, que celui qui trouve l’idée de prendre un livre dans ses mains repoussante, qui, toujours à la hâte, ne prend pas de temps de s’assoir et ne voit pas beaucoup de choses. Lors de cette journée internationale du livre pour enfants, souhaitons-nous les uns aux autres des livres intéressants. Souhaitons-nous les uns aux autres encore une chose : que nous soyons nous-mêmes intéressants pour les livres !

(traduit du lituanien par Liucija Černiuvienė)

Né en 1954 à Aukštadvaris, Kęstutis Kasparavičius est un illustrateur et un écrivain  lituanien de livres pour enfants de renommée internationale. Il a tout d’abord, entre 1962 et 1972, étudié la direction de chœur à la National MK Čiurlionis School of Art, puis, passant de la musique aux arts visuels, il obtient un diplôme en graphisme à l’ Académie des Beaux-Arts de Vilnius. Il entame alors une carrière de graphiste dans une maison d’édition où, remarqué pour son talent d’illustrateur, il publie son premier livre en 1984. Depuis, Kęstutis Kasparavičius a illustré plus de soixante ouvrages dont certains écrits par lui-même. Traduits en vingt-sept langues, ses livres sont lus par des enfants du monde entier, du Japon à l’Amérique. Kęstutis Kasparavičius a organisé près de vingt expositions personnelles et ses œuvres ont été exposées à la Foire internationale du livre de Bologne. Il fut plusieurs fois le candidat de la section lituanienne de l’IBBY pour les prix Hans Christian Andersen et Astrid Lindgren. En 2002, les éditions Epigones avait publié la version de James Kruss des Musiciens de Brème avec des images de Kęstutis Kasparavičius.