Montons d’un cran

 

La journée d’étude Claude Santelli et le Théâtre de la jeunesse du jeudi 16 mai 2019, organisée à Amiens par l’université Jules Verne, aura été passionnante de bout en bout et, au-delà du voile de nostalgie qui recouvre assez souvent le propos quand est évoquée la télévision d’avant les années 1970, les intervenants éclairèrent, documents et extraits à l’appui, nombre d’aspects d’une collection qui fut l’un des grands rendez-vous familiaux de ces années.

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 La preuve par huit

    S’appuyant sur le Gargantua de François Rabelais adapté par Yves Jamiaque et réalisé par Pierre Badel, Béatrice Finet introduisit la matinée en montrant que vulgariser une œuvre patrimoniale n’est pas seulement se faire passeur ou transmetteur. Le projet est plus ambitieux et il témoigne de la haute idée que les producteurs avaient des téléspectateurs auxquels ils s’adressaient. Marguerite Mouton souligna que les cinq émissions qui donnèrent à entendre Les misérables de Victor Hugo (Cosette, Gavroche, Jean Valjean), adapté par Claude Santelli et que réalisa Alain Boudet, parvinrent, notamment grâce à une présence forte des acteurs, à parler sans pathos de misère et d’injustice aux enfants et à leur famille. Daniel Compère mit en avant que l’adaptation de L’ile mystérieuse de Jules Verne par Claude Santelli filmée par Pierre Badel fut plus soucieuse de fidélité que nombre d’hollywoodiens scénarios. Il élargit son propos à l’adaptation du roman moins connu Les Indes noires que s’approprièrent l’écrivain Marcel Moussy et le réalisateur Marcel Bluval et il commenta une série de photogrammes du Secret de Wilhelm Storitz réalisé par Eric Le Hung à partir d’une adaptation de Claude Santelli. Francis Marcoin évoqua les adaptations nombreuses de Sans famille d’Hector Malot que proposèrent le cinéma et la télévision, notant que celle du « Théâtre de la jeunesse » signée Jean-Louis Roncoroni évita habilement la plupart des moments que Yannick Andrei aurait du filmer en extérieur. Il évoqua également la comédienne Andrée Tainsy qui interprétait une convaincante mère Barberin. Intervention plus inattendue de Marcelo Publio qui, rapprochant les deux films Marie Curie, une fille de Pologne et Marie Curie, le radium (Maria Benedicto et Pierre Badel, 1965) d’un court-métrage d’animation de la série « Il était une fois… les découvreurs » (Albert Barillé, 1994), insista sur l’importance du contexte de l’époque quand on parle de sciences à la télévision, même quand il ne s’agit, pourrait-on croire, que de récits biographiques. Sylvie Pierre évoqua dans un même mouvement Claude Santelli et Jean-Christophe Averty qui travaillèrent plusieurs fois ensemble, en particulier pour un très beau Méliès, magicien de Montreuil-sous-Bois (scénarisé par Claude Veillot), les rapprochant au sein de la même volonté humaniste. Elle n’omit pas d’évoquer Les verts pâturages qui, fin 1964, divisa téléspectateurs et critiques. Christine Prévost rendit compte avec une belle précision de l’unique scénario original du « Théâtre de la jeunesse », Gaspard ou le petit tambour de la neige, émission de 1961 qui s’attachait au destin d’un enfant-soldat en Europe orientale dans les années 1750. Le scénario était de Claude Santelli et la réalisation de Jean-Pierre Marchand. En fin de journée, le réalisateur Michel Subiela s’entretint avec Noëlle Benhamou et il expliqua notamment qu’il s’amusa beaucoup à adapter la comtesse de Ségur sans même, tenta-t-il de nous faire croire, revenir aux ouvrages, se fiant uniquement à sa mémoire. C’est pas très convaincu, nous dit-il encore, qu’il accepta d’adapter Les mésaventures de Jean-Paul Choppart de Louis Desnoyers. L’émission sera réalisée par Yves-André Hubert et, diffusée en deux parties le 25 décembre 1968 et le 1ier janvier 1969, elle est la quarante-troisième et ultime proposition du « Théâtre de la jeunesse ».

    Nous devons à Prune Berge Santelli, invitée d’honneur présente tout au long de la journée, l’injonction de Man Ray qui ouvre ce compte-rendu.

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Détour papier

    En 1962, les éditions Les Yeux ouverts créent, en partenariat avec la Radiodiffusion-télévision française (RTF), une collection qui accueillerait des adaptations illustrées des émissions du « Théâtre de la jeunesse ». N’y paraitront, faute de ventes suffisantes, que trois titres : Un pari de milliardaire d’Albert Husson, Doubrovsky de Claude Santelli et L’auberge de l’ange gardien de Michel Subiela.

    Voici la note qui ouvrait chaque ouvrage :

    « Les très bons livres pour la jeunesse sont rares : on publie trop souvent des livres pleins de bons sentiments mais ennuyeux ou des histoires faciles à lire mais niaises et finalement sans intérêt.

    Claude Santelli avait eu l’heureuse idée de demander à des auteurs modernes de talent d’écrire pour la jeunesse des textes originaux en s’inspirant de grandes œuvres de la littérature mondiale. Ceux-ci diffusés depuis 1960 dans le cadre du « Théâtre de la jeunesse » connaissent un très grand succès et une audience considérable. Le meilleur compliment qu’on puisse leur faire est de constater que destinées à la jeunesse ces émissions sont suivies avec plaisir également par les adultes.

    Il est dommage de penser que ces œuvres de qualité, diffusées une fois seulement, soient perdus pour tous ceux qui pourraient prendre du plaisir à les retrouver et à les découvrir. C’est pourquoi nous avons décidé de vous offrir cette collection dans laquelle paraitront chaque année une douzaine de titres nouveaux.

    Les auteurs ont revu leur œuvre pour l’édition avec bonheur, lui conservant son intérêt dramatique, son caractère visuel et toute sa saveur.

    Le caractère visuel du récit est renforcé par les photos qui agrémentent le livre, photos prises par les photographes de la RTF et des hebdomadaires de télévision Télé 7 jours et Télé-Magazine. »

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Prendre la plume

J’ai, fin 2014, envoyé au courrier des lecteurs de Télérama la lettre ci-après. L’hebdomadaire accusa réception mais ne publia pas.

    « Au moment où j’écris, je ne connais pas encore les programmes dits de fêtes que le service public nous a prévu pour cette année. Regarderai-je même la télévision ? Je me plais juste à me remémorer les programmes de 1964 – il y a cinquante ans tout rond – que Claude Santelli coordonna et que nous regardâmes en famille et sans zapper. Il n’y avait que deux chaines – la deuxième datant du mois de juillet – et les écrans étaient en noir et blanc. C’était au temps de l’ORTF, qui n’a pas laissé que de bons souvenirs, et il y avait des speakerines. Sur la première chaine, chaque fin d’après-midi était dédiée aux enfants et Mack Sennett les faisait rire. A 20 heures 55, le programme de la soirée était annoncé sans chichi ni publicité avant et après. Aux amateurs de variétés furent offerts des shows célébrant Henri Salvador et Yves Montand, celui-ci mis en images par Jean-Christophe Averty. Le feuilleton de René Lucot adaptait Charles Dickens et narrait Les aventures de Monsieur Pickwick en douze épisodes. Chaque soirée se terminait, mezzo vocce, par La nuit écoute de Jean-Claude Bringuier qui recevait Jean-Pierre Chabrol, Max-Paul Foucher, Marguerite Long, Nicole Védrès. Mais, ce sont les dramatiques dont je garde le souvenir le plus vivace : Les Indes noires de Marcel Bluwal d’après Jules Verne, Le Petit Claus et le Grand Claus de Jacques et Pierre Prévert d’après un conte d’Andersen, La mégère apprivoisée de Pierre Badel, d’après William Shakespeare. Jean-Christophe Averty réalisa, pour la veillée de Noël, une sorte de comédie musicale, Les verts pâturages, adaptation de l’Ancien testament propre à toucher croyants et athées et qui ne plut pas à tout le monde. La réalisation de La Chauve-Souris de Johann Strauss fut confiée à Marcel Bluwal. Pour le 25 décembre et le 1er janvier après-midi, Claude Santelli mit au programme de son « Théâtre de la jeunesse », adapté par Michel Subiela,  La sœur de Gribouille d’après la comtesse de Ségur et il adapta lui-même, pour la soirée du 1er janvier, David Copperfield, d’après Charles Dickens, que Marcel Cravenne mis en images. Émissions toutes inédites, c’est-à-dire voulues et conçues spécialement pour ces fêtes, et diffusées, pour la plupart, deux fois, sur chacune des chaines. Il y eut aussi des films, pas tant que cela, et disons simplement qu’ils étaient signés Renoir, Lubitsch, Vidor, Murnau et Flaherty, von Sternberg, Dreyer. Nous étions six à la maison, regardions tout ou presque, aimions tout ou presque, aimant ces programmes-là en tout cas. Nostalgie ? Un peu certainement, mais aussi manière de (re)dire que les pionniers de la télévision, eux, croyaient à l’éducation populaire.

(André Delobel – décembre 2014)

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André Delobel est secrétaire de la section de l’Orléanais du CRILJ depuis plus de quarante ans ans et il fut secrétaire général au plan national de 2009 à 2019 ; co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains (Hachette, 1995), au comité de rédaction de la revue Griffon jusqu’à ce que la publication disparaisse fin 2013, il assura, pendant quatorze ans, la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans le quotidien La République du Centre ; articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson (2014) et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des Cahiers du CRILJ consacré au théâtre jeune public (2014) ; contribution au catalogue Dans les coulisses de l’album : 50 ans d’illustration pour la jeunesse, 1965-2015 (CRILJ, 2015).

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