Une censure politique

 

 

 

 

 

 

    J’ai connu très tôt la censure éditoriale. Mais il s’agissait plutôt, dans ce cas, de frilosité. Au début des années 70, lorsque j’ai timidement proposé le manuscrit des Lumières du matin aux éditeurs jeunesse en vogue à l’époque, ils se sont montrés très polis, très courtois, presque toujours élogieux, mais finalement pas intéressés. Ce qui me mit la puce à l’oreille – puisque, à l’époque, j’ignorais tout du monde éditorial – c’était l’étonnante diversité des raisons avancées pour les éditeurs pour refuser ce roman. Comment se faire une idée de la réalité de ses faiblesses devant tant de motifs différents, voire contradictoires ? Cela cachait autre chose.

    C’est un « éditeur vieillesse » qui m’a ouvert les yeux : regrettant de ne pas pouvoir retenir le roman que je présentais, il m’orienta vers le prix de la Ligue française de l’enseignement, m’expliquant qu’un roman sur la Commune de Paris destiné à la jeunesse (genre que lui-même n’éditait pas) n’avait pas beaucoup de chance d’être retenu, à cause de son contenu politique, sauf s’il était distingué par un prix. Il me conseilla donc de soumettre mon manuscrit au jury du prix Jean Macé.

    Le jour même où l’attaché culturel de la Ligue m’annonça par téléphone que le jury m’attribuait le prix Jean Macé 1974, tous les éditeurs précédents me téléphonèrent. Leur discours fut le même : « C’est un bon texte, je vous l’avais dit. Je le prends ». Hachette l’emporta, puisqu’il faut reconnaître qu’avant le prix Jean Macé, l’éditeur avait courageusement pris une option sur ce roman jugé impubliable par ses confrères.

    Mais Hachette n’était pas disposé a avalé tout cru un roman aussi « rouge ». D’où des pressions pour faire sauter des passages jugés politiquement incorrects : par exemple, un fac-similé de l’affiche de Thiers où il était question « d’agitateurs aux idées communistes ». J’ai résisté. Finalement, des représentants des Amis de la Commune de Paris, de la Ligue de l’enseignement, de l’Éducation nationale, réunis chez Hachette, menacèrent de retirer le manuscrit s’il n’était pas reproduit intégralement, comme l’avait distingué le jury de la Ligue. Hachette céda.

    Je n’ai jamais connu d’autre censure “politique” que celle-là.

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Robert Bigot est né à Paris en 1933. Ingénieur, il termine en 1993 une carrière professionnelle heureuse. Parallèlement, son attachement aux enfants et aux jeunes le conduit à écrire des contes et des chansons, et c’est encouragé par Mathilde Leriche qu’il écrit son premier roman. Par de fréquentes rencontres avec ses lecteurs et la coordination d’ateliers d’écriture, il reste proche du milieu scolaire, des enfants et des adolescents en faveur desquels il milite pour une littérature de qualité, respectueuse des valeurs morales et sociales. Membre, depuis sa création en 1975, de la Charte des auteurs et des illustrateurs pour la Jeunesse, Robert Bigot est également administrateur du CRILJ. Les lumières du matin a été traduit en polonais, italien et chinois.