Préface pour Patrick Joquel

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     La découverte et la lecture d’un nouveau recueil de Patrick Joquel me procurent  toujours une joie intense. Je l’aborde en effet avec la curiosité, l’attente, le pressentiment d’une surprise : quoi de nouveau cette fois-ci ? Qu’a-t-il encore inventé ?

     Car certains poètes, même majeurs, se peuvent enclore dans l’attendu. Certes, ils nous enrichissent, mais dans un registre balisé d’avance qui ne promet que peu ou pas de total étonnement. On peut les classer dans tel genre ou tel autre: lyrique, comique, méditatif …

     Depuis que je connais Patrick et fréquente assidûment son œuvre, j’ai toujours été frappée par l’intense curiosité d’esprit, le goût de l’inconnu, du risque, le courage impétueux, joyeux qui lui fait dépasser perpétuellement ses limites, explorer sans cesse de nouveaux champs d’écriture. Ne se satisfaire définitivement de rien. Ne jamais s’enfermer. Rebondir.

     A travers Perché sur mon planisphère, Mammifère à lentilles, Tant de secrets se cachent alentour, Entre écritoire et table à cartes, Maisons bleues, Croquer l’orange, pour ne citer que quelques titres, Patrick poursuit sa route, tour à tour pensif, tendre, ironique et doucement moqueur, ébauchant un pied de nez là où nous ne l’attendions pas, mais toujours lui-même. En prise directe – et c’est peut-être sa très grande force – avec notre monde moderne de l’ordinateur, d’Internet, des voyages spatiaux, le regard embrassant à la fois l’homme de la préhistoire et l’homme d’un futur à inventer … Tout cela comme en se jouant, le plus naturellement du monde et sans jamais tomber dans l’artificiel. Ecriture multiple, variée, plurielle mais toujours voix singulière, unique parce qu’on retrouve, dès que l’on creuse un peu, une même souche, une même manière de dire.

     Oui, quel délicieux recueil que Mille cinq cent dix-sept pieds sur le papier ! Côté déjà délectablement loufoque du titre : seul un auteur de limericks pouvait avoir l’idée biscornue de compter le nombre exact de pieds d’un ouvrage. Et l’on peut dire que nous avons là, avant les textes eux mêmes, la précieuse essence de tout limerick : jeu de mots inattendu, cocasse, impertinent, raccourci saisissant nous donnant à voir sans le dire l’œuvre poétique sous forme d’un mille-pattes.

     Mais qu’est-ce donc exactement qu’un limerick, cette forme particulière de l’humour largement popularisée par Edward Lear ? Le limerick nous raconte sous forme lapidaire et poétique une petite histoire absurde. Un zeste de cruauté désinvolte pourra être le bienvenu, tel ce couplet de Edward Lear lui-même, admirablement traduit (ou réinventé) par Henri Parisot :

     Le père sévère

     Entendant pleurer ses enfants,

     Il les jeta dans l’océan

     Et dit en noyant le troisième :

     C’est silencieux que je les aime.

     Le limerick est en ce sens l’antidote du mélodrame. Ce petit côté sadique, disons plutôt ce parti pris de traiter par le rire une situation tragique en elle-même, n’a pas échappé à Patrick. Nous le montrent par exemple : la marmotte et l’aigle, l’ours du pôle, ou l’astéroïde anonyme. Se retrouve aussi présente dans ce recueil la petite référence géographique souvent de rigueur : le héros du limerick ne surgit pas de nulle part. Il est généralement d’une ville ou d’un pays. Le dragon d’Angleterre, le potier chinois ou le jeune oursin de Hyères vont donc ici déambuler de page en page et de pied ferme. Ou de pied en pied.

     Et – le limerick étant la revanche de la fantaisie sur l’esprit de sérieux – domine ce petit grain d’indéfinissable folie que je sens doucement flotter ici sur l’escargot timbré, l’aspirateur du dimanche… ou les chagrins promenés en laisse au bord du Rhin.

     Mais, chut … j’en ai trop dit. A toi, lecteur, bon appétit !

( préface pour Mille cinq cent dix-sept pieds sur le papier, poèmes de Patrick Joquel, photos de Jean Foucault, Corps Puce 2009 )

held

Enfance limousine, mère institutrice lisant Marcel Aymé, Rudyard Kipling et Selma Lagerlöf, agrégation de philosophie en Sorbonne. Professeur à l’école normale d’Orléans de 1959 à 1980, Jacqueline Held y assura, à une époque où cela ne se faisait guère, un cours de littérature pour la jeunesse. Premiers textes vers 1969. Parmi ses nombreux livres où se manifeste souvent, mais pas seulement, son goût du fantastique et de l’onirique : Le Chat de Simulombula (1970), Les enfants d’Albédaran (1976), Petit Guillaume de Sologne (1981), Le jouet du Père Noël (2005). Ne pas oublier la série des Croktou et La part du vent, roman autobiographique paru chez Duculot en 1974. Nombreux recueils de poèmes pour enfants et pour adultes, en collaboration fréquente avec Claude Held, son mari. Auteur de plusieurs ouvrages théoriques témoignant de sa grande connaissance des livres pour l’enfance et la jeunesse, Jacqueline Held fut longtemps au conseil d’administration du CRILJ.