Réécrire, adapter, dessiner.

Marguerite Yourcenar, Jean Giono, animés et mangas : Les Enfants de cinéma ont, le mardi 22 novembre 2023, croisé le film d’animation et la littérature de jeunesse lors d’une rencontre foisonnante organisée à Paris avec le Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse et l’Office central de la coopération à l’école.

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    Devant l’assistance, il lit une lettre que lui a adressée Marguerite Yourcenar. Georges Lemoine a près de 90 ans, les mains qui tremblent légèrement mais pas la voix. Celui qui a illustré les textes de Marguerite Yourcenar, Claude Roy, Jean-Marie Gustave Le Clézio et Henri Bosco confie avoir passé quinze jours à rassembler des documents pour ce colloque. Ce 22 novembre à Paris, Les Enfants de cinéma, le Centre de recherche et d’information sur la littérature de jeunesse (CRILJ) et l’Office central de la coopération à l’école (OCCE) se rencontrent en effet sur le thème Écritures d’encre et de lumière : cinéma d’animation et littérature de jeunesse.

    La matinée est consacrée à Comment Wang-Fô fut sauvé, une des deux nouvelles évoquant l’Extrême-Orient dans Les Nouvelles orientales. Dans la lettre que lit Georges Lemoine, Marguerite Yourcenar lui explique une image qu’elle a en tête : le peintre Wang-Fô et son assistant Ling sur une barque, quittant le monde des hommes. Mais l’éditeur sera-t-il d’accord pour cette représentation ? Pourront-ils intégrer plusieurs illustrations ? Georges Lemoine se lève pour montrer un original de la série Wang-Fô. Il se fait ensuite aider pour présenter différents ouvrages dont il a réalisé la couverture, notamment la dernière : un bel alphabécédaire de Michel Leiris, publié chez Michael Seksik.

Se réécrire soi-même

    Le visage de Wang-Fô a été plusieurs fois représenté, notamment dans le très beau court-métrage d’animation réalisé par René Laloux en 1987 sur des dessins de Caza. Si La Planète sauvage est le film le plus connu du cinéaste décédé en 2004, Comment Wang-Fö fut sauvé (15 minutes) était son préféré. Il manifeste un jeu de miroirs : sur ordre de l’empereur cruel, le vieux peintre doit terminer une œuvre de jeunesse montrant une mer sur laquelle il ajoute la barque qui va l’emmener dans l’autre monde avec son assistant (d’où l’image qu’avait en tête Marguerite Yourcenar). René Laloux avait découvert tôt cette nouvelle et avait eu envie de l’adapter. « Cela aurait dû être, en quelque sorte, son premier film », explique Xavier Kawa-Topor. Le délégué général de la Nef Animation, plateforme professionnelle sur l’écriture et le cinéma d’animation, file une démonstration sur le thème de la métalepse : un personnage sortant du tableau, comme dans La Bergère et le ramoneur, de Paul Grimault, ou Le Tableau, de Jean-François Laguionie, ou encore La Rose pourpre du Caire, de Woody Allen.

    « Le chariot qui emporte des prisonniers et les flashbacks ne sont pas dans le texte de Yourcenar qui est chronologique, analyse Xavier Kawa-Topor. La scène a été restructurée par René Laloux pour créer un suspens, une angoisse sur le sort des prisonniers. Le cinéaste joue sur la lenteur comme élément de suspens. » Le texte est écrit à la première personne : c’est le disciple Ling qui parle et qui va être décapité par l’empereur cruel, sa tête ensanglantée roulera au pied de son maître. Le narrateur du début est donc un personnage mort : « Le film fait entendre un récit post mortem d’une profonde gravité », poursuit Xavier Kawa-Topor. Dans le film, l’art permet de dépasser la condition humaine et la cruauté des hommes, mais l’homme est transcendé par la beauté de l’art qui lui montre la réalité plus belle qu’elle ne l’est. « Tu m’as menti, vieil homme ! », assène l’empereur tyrannique au peintre dans un monologue d’anthologie que le cinéaste a conservé en quasi-intégralité. Il a juste rajouté à la fin un « peut-être » qui sonne comme sa marque personnelle. Et qui modifie quand même légèrement le sens du texte de Marguerite Yourcenar.

    La nouvelle a été réécrite par l’autrice qui s’est adaptée elle-même pour la jeunesse. Le modèle le plus connu en la matière est Michel Tournier dont l’exemple phare reste Vendredi ou les Limbes du pacifique, devenu Vendredi ou la Vie sauvage pour les plus jeunes lecteurs. « Marguerite Yourcenar comprime son texte, éclaire Christine Plu, docteure en littérature générale et comparée de l’université de Rennes 2. Elle maintient la trame mais retire 50 % du texte, notamment des descriptions. Elle réécrit des passages pour améliorer le texte, perfectionner son style. Elle conserve de la complexité et maintient un lexique soutenu. Elle est dans une recherche de qualité et ajoute des passages didactiques en quête de l’adhésion du lecteur. « La version réduite a été perçue comme d’une qualité épurée, distillée, plus concise, plus limpide, pouvant être lue en troisième et en seconde. Le questionnement philosophique est préservé, la violence est atténuée et les méditations sont retirées », résume la chercheuse en renvoyant à l’étude publiée par Sandra L. Beckett aux Presses de l’Université de Montréal, De grands romanciers écrivent pour les enfants (1997). La dimension artistique est sublimée : c’est la vision de l’artiste qui manque à l’empereur.

    « Il y a une part de réécriture par l’illustration, souligne-t-elle. George Lemoine s’est livré à un véritable travail d’interprétation. » Georges Lemoine intervient :  « Ce visage de Wang-Fô est tiré d’une photo de Claude Roy qui lisait et traduisait le chinois. Il a photographié un homme sublime dont je me suis inspiré. » Il en profite pour confier, avec un peu d’amertume, que ses éditeurs ont ensuite utilisé ses planches pour différentes éditions sans le consulter.

     Comment ce conte peut être lu en privilégiant le sujet lecteur ? poursuit Christine Plu en évoquant une séquence pour les classes de troisième intitulée Peindre et écrire : les mots, les images dans Comment Wang-Fô fut sauvé. Elle renvoie enfin aux travaux de la chercheuse Sylviane Ahr, D’une lecture empirique à une lecture subjective argumentée  en concluant « implication et distanciation sont conciliables ».

Planter des arbres

    Écologiste militant de la première heure, le peintre, réalisateur et illustrateur Frédéric Back a découvert L’Homme qui plantait des arbres dans Le Sauvage, journal d’écologie politique fondé en 1973. Répondant à une commande autour des héros du quotidien, Jean Giono a inventé un personnage de planteur d’arbres, Elzéard Bouffier. Frédéric Back a pris ce texte pour un portrait : l’exemple de cet homme était important, il fallait lui donner du retentissement. Il a donc entrepris de l’adapter en court métrage d’animation, explique Xavier Kawa-Topor. « La découverte de la supercherie est une catastrophe pour lui. Une question éthique se joue… »

    En faisant un travail de recherche, Frédéric Back a trouvé d’autres modèles ressemblant à Elzéard Bouffier. Faire ce film avait donc un sens : il voulait montrer qu’on pouvait changer le visage d’une région par la force d’un engagement. Le succès de Crac ! (1981) lui permet de faire ce film en 1987. Il veut une adaptation fidèle. Il a pris le parti d’une voix off qui restitue le texte de Giono à 99,9 %. « Un seul paragraphe manque, souligne Xavier Kawa-Topor : celui où Giono situe géographiquement l’histoire. En enlevant ce paragraphe, il atténue le faux et universalise davantage l’histoire… »

    Dans la salle de l’hôtel particulier où se tient la rencontre, le film de quinze minutes est projeté. Les traits de crayon bruissent sur l’écran comme du vent dans des feuilles. Frédéric Back dessinait au crayon de cire. « Dans le film, commente Xavier Kawa-Topor, les sons de la matérialité, du vent, des pas contrastent avec la voix off. »  Les personnages ne parlent pas, Elzéard Bouffier devient même muet. « C’est un parti pris très fort. Il y a dans l’esthétique de Frédéric Back une idée de peinture en mouvement, dans la continuité de Wang-Fô. Il montre un paysage détruit par l’activité de l’homme, des images de la guerre. » Avant que les collines pelées ne se transforment en paradis de verdure et de chants d’oiseaux, la voix de Philippe Noiret aura eu le temps de dérouler l’intégralité du texte.

Du dessin abrégé à Candy

    Frédéric Back a fait l’objet d’une exposition au Japon, ce qui permet aux intervenants de la rencontre une transition vers la troisième partie de la journée consacrée au cinéma d’animation japonais. Maître de conférences associé à l’université des arts de Tokyo, spécialiste des films d’animation japonais et traducteur, Ilan Nguyen affirme qu’il est impossible de dresser un panorama local. Le Japon est en effet un des plus grands producteurs de films d’animation : entre vingt et quarante-cinq longs métrages par an, sans compter les vidéos et la télévision… « Impossible d’être exhaustif pour un individu », tranche-t-il. Même situation en bande dessinée. « On est condamné à une sorte de choix : des observateurs s’organisent pour documenter le secteur, et il faut s’appuyer sur les travaux des observateurs japonais », conseille-t-il.

    Au Japon, pays de catastrophes naturelles, retrouver des films relèvent de l’archéologie. « Les Japonais partent du principe que, à priori, les choses vont se perdre et par chance se conserver, explique Ilan Nguyen. La cinémathèque japonaise avait publié une statistique : le pourcentage de films préservés tournait autour de 4 % jusqu’en 1923. Chaque année, des films ressurgissent dans des greniers, des hangars, ce qui permet d’identifier des auteurs. « En 2006, un collectionneur a retrouvé des films d’animation de 1917 : Namukura Gatana, Le Sabre émoussé, réalisé par Jun’ichi Kôuchi. Ce court-métrage comique de deux minutes, considéré comme le plus ancien dessin animé japonais à ce jour, présente un samouraï qui fait l’acquisition d’un sabre. Mais il ne parvient pas à maîtriser l’arme qui lui joue des tours et se retourne contre lui. Ilan Nguyen diffuse des extraits du film : la salle rit. Ce personnage comique est à la fois dépaysant, familier, impressionnant de modernité alors que les techniques utilisées ont plus de cent ans.

    Autre particularité japonaise : le film jouet, une tradition grand public visant à rendre accessible aux familles, et notamment aux enfants, des mini-bobines de 35 millimètres avec des petites caméras. Selon Ilan Nguyen, il existe un marché amateur et ludique du film jouet avec des versions abrégées de certains films.

    Ilan Nguyen passe ensuite en revue les noms de certains pionniers du cinéma d’animation, Yamamoto, Murata, Oishi, Ofuji, Masaoka… Forts de leurs expériences arts graphiques, en satire et en caricature, laquelle distille une trace de burlesque dans le dessin et l’animation. Le chercheur projette alors à l’écran des saynètes datant des années 1930 particulièrement drôles et modernes. Noburo Ofuji serait un des premiers à avoir été identifié en Europe avec Le Vaisseau fantôme, un film datant de 1956. Dans les années 1930, Kenzô Masaoka a forgé le terme de « dessin en mouvement » : dooga, ce qui lui vaut le surnom de père du dessin animé.

    Ilan Nguyen avance dans le temps et évoque la création de studio comme Tôei, Ghibli, Mushi, et en faisant le lien avec le manga : Dragon ball, Albator, Les Chevaliers du zodiaque : tous ces films ont été produits par Tôei à partir de BD. Il mentionne Ozamu Tezuka et son invention d’une grammaire graphique en trois images : par exemple, un visage avec les yeux fermés, les yeux entrouverts, puis les yeux ouverts. Un tableau qui permet des combinaisons multiples et de rationnaliser la production de dessin de manière à tenir des délais de réalisation infernaux.

    Voici quelques années Xavier Kawa-Topo a organisé un colloque dans l’idée de convertir les jeunes amateurs d’animation japonaise au « vrai cinéma », relate-t-il sur le ton de l’anecdote. Il a pris contact avec le rédacteur en chef d’AnimeLand, qui lui a rétorqué qu’il n’y connaissait rien. « Il m’a confié un sac Tati rempli de cassettes VHS pirates avec tout Miyazaki, tout Takahata…, se souvient le délégué général de la Nef. J’ai mis Nausicaa dans le lecteur… J’avais l’impression de découvrir la chapelle Sixtine de l’animation. « Au colloque, ce sont les cinéphiles qui, ravalant leur dédain, ont pris une leçon de cinéma du côté de l’animation japonaise. « Il reste beaucoup de travail, remarque-t-il. On est passé d’une forme de rejet systématique à un accueil béat. »

    Difficile d’avoir une connaissance objective des contextes de réalisation et d’aller puiser aux sources, à moins de parler japonais. Le générique de Candy, projetté ensuite, ne laisse planer aucun doute : même musique, mêmes dessins, il n’y a que les paroles qui changent. Mais sa reconnaissance immédiate, comme celle de Goldorak, Albator, Capitaine Flam, Rémi sans famille, témoigne de l’imprégnation des enfants des années 1980. De quoi préparer le terrain à l’actuelle mangamania.

par Ingrid Merckx, rédactrice en chef de L’École des lettres

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Les captations des interventions de la rencontre du 22 novembre 2022 sont accessibles sur la chaîne YouTube des Enfants de cinéma. C’est ici. En ligne, outre l’ouverture de la rencontre par Katell Deimat-Tison et Nadine Boyals (OCCE), Ginet Dislaire (Les Enfants de cinéma) et Françoise Lagarde (CRILJ), les cinq interventions de cette journée :

 –  Qu’est-ce qu’une lecture littéraire de Comment Wang-Fô  fut sauvé ? – par Christine Plu, enseignante à l’université de Cergy-Pontoise en masters « Éducation et formation » et masters spécialisées en littérature de jeunesse.

– Adaptation littéraire et court métrage d’animation à propos de Comment Wang-Fô fut sauvé – par Xavier Kawa-Topor, délégué général de la NEF Animation.

Illustrer Comment Wang-Fô fut sauvé ? – par Georges Lemoine, illustrateur de Marguerite Yourcenar.

 –  Adaptation littéraire et court métrage d’animation à propos de L’homme qui plantait des arbres  par Xavier Kawa-Topor, délégué général de la NEF Animation.

 Liens entre manga et films d’animation japonais – par Ilan Ngùuyen, maître de conférences associé à l’Université des Arts de Tôkyô, spécialiste des films d’animation japonais et traducteur.

Merci à Ingrid Merckx pour son article et pour son autorisation de publication

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Le site de l’Office central de la coopération à l’école est ici.

Le site de l’association Les Enfants de cinéma est ici.

Le site de L’École des lettres est ici.

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BONUS

Pour voir le film de René Laloux, cliquer ici.

Pour voir le film de Frédéric Back, cliquer là.

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Une librairie dédiée à l’image

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L’ouverture à Orléans d’une librairie faisant la part belle aux livres d’images ne pouvait laisser le CRILJ indifférent. En décembre 2022, nous avons proposé à Bénédicte Coutin d’être notre relais et celui du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine Saint-Denis en accueillant l’exposition Désirs de monde. Six albums remarquables ont ainsi pu être mis à l’honneur dans les vitrines du magasin. Leina et le Seigneur des Amanites de Myriam Darmon, Nicolas Digard et Julia Sarda a même, un peu plus tard, à l’occasion des Nuits de la lecture, bénéficié d’une mise en voix théâtralisée par les comédiennes Sophie Jude et Delphine Chuillot. Sur les murs de l’atelier, des planches originales et des tirages d’art de Clémence Pollet en place jusqu’au samedi 11 mars.

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A Orléans, la librairie Jaune Citron pétille

    Ouverte depuis juin 2022, la librairie Jaune Citron a trouvé sa place et son public dans la rue des Carmes. Le dynamisme de sa fondatrice Bénédicte Coutin et son amour des beaux livres et des BD ainsi que ses ateliers, le tout pour enfants et adultes semblent être les clés de son succès.

    Il faut être sacrément culotté pour ouvrir une librairie à Orléans en ces temps numériques. Un contexte qui n’a pas effrayé Bénédicte Coutin. Elle a en effet créé en juin 2022 la librairie Jaune Citron à l’angle des rues des Carmes et Henri Roy. Elle mise aussi sur un créneau particulier, à savoir les beaux livres et les BD, pour tous publics. Elle privilégie aussi les petites maisons d’éditions, locales ou non.

    Bénédicte n’hésite pas non plus à ouvrir sa porte aux artistes locaux pour des ateliers, des expositions ou encore la vente d’objets divers comme des livres en tissus, des puzzles et des jeux. Avec aussi des ateliers d’arts plastiques pour enfants et adultes très appréciés comme en témoigne l’enthousiasme de cette maman : « Je trouve ça super, car cela permet de sortir les enfants de la maison et de leur faire découvrir des univers créatifs différents de ce qu’ils font à l’école »

Un grand détour par le musée des Beaux-Arts

    Il faut dire que notre future libraire ne partait pas de zéro. Après des études de graphisme et d’illustration à l’IAV d’Orléans (ancêtre de l’actuelle ESAD). Elle suit une première formation de libraire. Mais après un détour par des librairies et des maisons d’éditions parisiennes, ses pas la conduisent finalement au musée des Beaux-arts d’Orléans. Durant 24 ans elle y sera médiatrice culturelle, chargée de l’accueil du jeune public et de l’animation des ateliers d’arts plastiques.

Une bibliothèque nomade avant la librairie

    Des années durant lesquelles elle n’oublie pas son envie de librairie. Elle saute une première fois le pas en créant une BNE, Bibliothèque Nomade Expérimentale, sous la forme d’une petite maison à roulettes. Durant les cinq années qui précèdent l’ouverture de sa librairie, en parallèle de son travail au musée des Beaux-Arts, Bénédicte partage sa passion de la lecture à voix haute en vagabondant entre écoles, médiathèques et festivals. Et ça marche.

    Enfin, un beau jour, Bénédicte couche sur le papier son envie de librairie. Le secret de la réussite d’une idée c’est aussi de savoir s’entourer. Ce qu’elle fait en 2019 en frappant à la porte de CICLIC, l’agence régionale du Centre pour le livre, l’image et la culture numérique. Elle sollicite aussi le service commerce de la mairie d’Orléans qui lui indique la disponibilité du local.

     Mais il faut des sous. Pour en trouver Bénédicte lance en janvier 2022 une campagne de financement participatif via la plateforme Ulule : « Ça a été un vrai succès. Je suis passée d’un projet individuel à un projet collectif parce qu’en l’espace de 45 jours, j’ai réussi à collecter près de 10 000 euros. Ça aussi ça porte. Et tous ces gens qui se sont impliqués dans la collecte ont porté le projet au départ et encore aujourd’hui puisqu’ils sont devenus mes premiers clients. » D’ailleurs, il y a un panneau dans la librairie où tous les noms sont inscrits.

    Et puis, il y a ce nom Jaune Citron : « On me demande souvent d’où ça vient. En fait, il y a un proverbe que j’aime beaucoup : “Si la vie t’offre des citrons, fais-en de la limonade”. C’est une phrase qui m’a souvent accompagnée avec cette idée que si on met un peu de sucre, les choses pétillent à nouveau. Et pour moi le livre ça a toujours été ça, un peu une sucrerie. Dans les moments difficiles, je prends un livre, une tasse de thé et puis ça repart ! Le citron, c’est pétillant, vivifiant, ça réveille les papilles et l’esprit et la couleur jaune plaît beaucoup. »

Un accueil chaleureux

    Dans le quartier des Carmes, la façade bleu turquoise de la librairie, et son intérieur intégralement jaune ne passent pas inaperçus. Au sein d’un quartier en pleine métamorphose, Bénédicte Coutin a très vite trouvé sa place, appréciant le « côté populaire » et la « mixité au sein du quartier ».

    L’accueil bienveillant des commerçants a également contribué à cette intégration. Lesquels ont récemment, à l’initiative du restaurant Mix, formé un collectif sous le nom de Station Carmes afin de créer des pôles d’attraction ainsi que de renforcer les liens entre chaque commerce. L’enthousiasme des commerçants, récents mais aussi anciens vis-à-vis de cette proposition, devrait favoriser l’éclosion d’un événement qui verra le jour au printemps prochain.

par Sophie Deschamps et Timothé Beuret – jeudi 19 janvier 2023

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Grand merci à Magcentre pour son autorisation de mise en ligne.

https://www.magcentre.fr

Adhérer en 2023

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Conversation de saison

– L’année 2023 est déjà bien entamée.

– Tu l’as dit.

– T’as présenté tes vœux à tout le monde ?

– J’ai lu qu’on avait jusqu’à fin janvier.

– Tant que ça ?

– Je crois bien. Pour la cotisation, c’est encore plus.

– Quelle cotisation ?

– La cotisation annuelle au CRILJ.

– Tu as raison, mais il ne faudra quand même pas tarder.

– Le document est en ligne sur ce site et c’est très pratique.

– Je fais tout de suite, sinon je vais oublier.

– Très bonne idée.

– Dis, l’image qui est juste en-dessous, c’est de l’ironie ?

– Un peu quand même, je pense.

– Quoique, finalement, par les temps qui courent …

– En tout cas, cette cotisation 2023, moi, je la règle.

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Le bulletin d’adhésion 2023 est téléchargeable ici.

 

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Montreuil en 2022

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Quand on vient pour la première fois, adulte ou enfant, au Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, on peut éprouver un sentiment de trop-plein, se perdre dans les propositions et ne pas savoir, comme on dit aujourd’hui, se poser. En fait, si la profusion étourdit, la possibilité pour les visiteurs de bonne volonté de vivre leurs propres micro-événements va transformer la simple déambulation en moments heureux : un livre qu’on ne connaissait pas, une rencontre inopinée, une dédicace super belle, quelques phrases échangées avec un auteur pas intimidant du tout, une lecture ou un atelier. Sur le stand du CRILJ, ce sont surtout des médiateurs qui s’approchent et s’arrêtent. Ils questionnent, feuillettent, achètent. Des étudiants, surtout des filles, nous entretiennent de leur prochain mémoire, licence ou master. Nous les encourageons et, assez souvent, promettons de les aider dans leurs premières recherches. Il y a aussi ceux qui – soutien appréciable – adhèrent à l’association et ceux qui nous assurent, promis-juré, qu’ils s’inscriront à notre prochain colloque. Ce sera avant Montreuil 2023.

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Désirs de mondes

     La thématique du trente-huitième Salon du livre et la presse jeunesse en Seine Saint-Denis aura tenu ses promesses dans tous les sens du terme.

    L’édition 2022 s’est achevée sur une fréquentation digne des plus grands crus : 1 600 autrices et auteurs, illustratrices et illustrateurs présents à Montreuil, ont fait le bonheur des 180 000 visiteurs qui, six jours durant, sont venus à leur rencontre.

    Des dizaines de milliers d’enfants et d’adolescents débordants d’énergie, curieux et enthousiastes, ont apporté à la palette des émotions vécues au Salon, toutes les nuances de leurs désirs de mondes plus doux à vivre, de mondes qui portent les rêves de leur génération, les couleurs et les espoirs de leur insatiable imaginaire.

    Petits et grands ainsi conviés au grand festin de la littérature jeunesse se sont régalés des centaines de rencontres au programme tandis que pour sa troisième saison, la Télé du Salon, enrichie de nouveaux formats, diffusait chaque jour débats et créations originales. Ce nouveau média du Salon, né des contraintes du confinement, fait désormais partie de sa chatoyante panoplie. Il participe, avec les 500 partenaires-relais du Salon sur l’ensemble du territoire national, au rayonnement amplifié que l’événement offre, à quelques encablures des fêtes, à la littérature jeunesse, à ses créateurs comme à tous les acteurs de la chaîne du livre qui la font vivre.

    Les 450 maisons d’édition présentes comme la multiplication des formats et possibilités de rencontres professionnelles, y compris en amont du Salon, ont apporté à la saveur de ce cru décidément tonique.

   Il faut ajouter à la singulière façon dont toutes ces énergies se sont mobilisées pour aboutir à une trente-huitième édition si réussie, une très belle récolte de Pépites et la remarquable Grande Ourse de ce millésime 2022, Marc Boutavant.

    Dans notre galaxie de la littérature jeunesse, tous ces désirs de mondes ont manifestement concouru à un bel alignement de planète

    Retrouvez la trente-neuvième édition du Salon du livre et la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis du mercredi 29 novembre au lundi 4 décembre 2023.

( communiqué de presse des organisateurs du Salon – lundi 5 décembre 2022 )

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Disparition de Philippe Corentin

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Philippe Corentin : des gâteaux, des amis, des jeux et des livres. 

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« Et dis, papa, pourquoi moi je n’ai pas de livres de Corentin ? »  (N’oublie pas de te laver les dents ! – école des loisirs, 2009 )       

       Philippe Corentin est décédé le 7 novembre dernier. On gardera de lui l’image qu’il aimait afficher: celle d’un humoriste : « Moi je fais des Mickeys, c’est tout ! Je suis un gribouilleur. Un génial gribouilleur, c’est vrai, mais je ne suis qu’un rigolo ! » (1). Ses personnages se chargeaient même de sa publicité : « C’est un livre de Corentin. C’est trop drôle » répond la petite fille à son père qui lui demande ce qu’elle lit (2).  Et quand le dessinateur s’accordait quelque talent c’était pour l’écorner : « Il dessine des souris. Regarde comme elles sont mignonnes » s’émerveille Pipioli ; « Tu as vu les oreilles qu’il nous fait. Elles sont trop grandes. » réplique Pistache (3). Preuve qu’on a bien à faire à un « faiseur de Mickeys » ! Pourquoi ce mélange de fanfaronnade et de déni ? Pour devancer les critiques ? Se garder des louanges ? L’homme qui maugréait était avant tout un pudique qui ne se prêtait pas aux conventions et sabordait le jeu éditorial (rares signatures publiques, aucun colloque et très peu d’entretiens). En solitaire, il fignolait une vision d’enfance simple et immuable, ainsi résumée par Tête à claques : « … et pourquoi il n’y a jamais de tarte aux carottes et pourquoi je n’ai pas de copains et puis pourquoi on ne joue jamais au loup et en plus j’ai même pas de livres pour lire hein dis papa pourquoi j’en aurais pas moi aussi un livre avec des images et tout et tout… ? » (4). Des tartes végétariennes pour un carnivore, des amis mammifères pour un sanguinaire, des jeux cruels pour un loupiot mais des livres avec des images pour les petits !

    Les gâteaux sont faits maison, par des mères attentives aux goûts des convives : une tarte aux moucherons pour la chauve-souris, un gâteau de papier en feuilles de Cendrillon pour les souriceaux, un gâteau aux noix pour Zigomar, une tarte aux cerises pour Pipioli, deux autres tartes (aux pommes pour le garçon, aux mille-pattes pour le monstre), une religieuse au chocolat après un kouglof pour Bouboule, une tarte aux carottes pour Têtes à claques, une tartine de confiture pour les mouches. (5) « Un racontage de bouche » (6) écrit Serge Martin pour évoquer l’esprit rabelaisien de l’œuvre.

    L’amitié c’est l’altérité : Pipioli le souriceau a pour copains des oiseaux (un merle, une hirondelle) et une grenouille, Loustic s’entiche d’une princesse nommée Baignoire, Biplan le moucheron traîne avec un moustique (les autres sont des pédezouilles), le monstre et l’enfant partagent leur lit, Bouboule et Baballesont unis à vie, le louveteau s’émancipe avec des lapins et un cochon (7) : « un mélange d’espèces et de règnes » poursuit Serge Martin citant Florence Gaïotti (8). L’amitié est absolue: Pipioli aurait pu trouver mieux qu’un merle sédentaire pour migrer mais il a foi en la parole de Zigomar, Biplan l’asocial ne lâche pas Moustique qui ne lui est pourtant d’aucun recours et ceux qui se détestent (le chat et le chien (9)) ne se quittent pas.

   Le champ des jeux est large et les plaisirs homogènes. Faire l’avion (au-dessus de la maison ou en Afrique), faire des parties de boules de neige ou de confiture, faire la course ou faire des blagues, faire le loup et qu’importe la peur pourvu qu’il y ait l’ivresse. Dans les images, des jouets abandonnés révèlent d’autres jeux tout aussi traditionnels  mais bien plus calmes : ballon, corde à sauter, crayons de couleur, pelotes de laine, poupée, petite voiture, trompette, etc. Le seul qui ne sait pas jouer (Biplan le rabat-joie) compte sur l’amitié pour fuir la mélancolie : « Je ne sais pas quoi faire. Qu’est-ce que je peux faire ? »

    A la gourmandise, l’amitié et les jeux, Philippe Corentin ajoute la lecture. Gages de découverte et de réflexion, les livres structurent les personnalités en friches. Dans Mademoiselle Tout à l’envers, ils sont en hauteur et comme la chauve-souris est seule à voler « en haut », c’est sans doute là qu’elle puise les histoires de vampires qui troublent le sommeil de ses cousins. Dans Patatras !, ils sont au-dessus de la baignoire (pas loin des WC) et sur les tables de chevet dans Les Deux goinfres et dans Papa ! deux livres sont ouverts : l’un avant l’arrivée du magnétoscope (Le Père Noël et les fourmis), l’autre évité par Biplan à qui sa mère répète pourtant « Joue ! Lis ! Bouge ! Remue-toi ! » ! Dans Pipioli la terreur, c’est toute une bibliothèque qui sert de terrain de jeu et de potager : on fait des gâteaux avec des pages de Cendrillon (la suave) et des salades avec des feuilles de Pinocchio (le menteur). On lit aussi du Corentin au terrier (Mademoiselle Sauve-qui-peut dont l’image intérieure semble être de Grégoire Solotareff) et au salon où, dans une mise en abyme, la fillette résume ce qu’elle est en train de vivre : « L’histoire d’un petit crocodile qui veut manger une petite fille » (10). Enfin, c’est à une lecture métafictionnelle que nous convie la grand-mère de Mademoiselle Sauve-qui-peut lorsqu’elle dit : « C’est la fin de l’histoire et puis de toute façon c’est la dernière page ». Les histoires irriguent la vie. Face au loup, Mademoiselle Sauve-qui-peut s’insurge : « Non, mais, dis donc le loup, tu crois que je ne sais pas faire la différence entre un loup et une mamie ? (…) Il me croit aussi bête que le Petit Chaperon rouge ou quoi ? ». Comme elles sont drôles les histoires de Corentin, pas moroses comme l’aimeraient Baballe et Bouboule :

« – Ha, ha !… Vous allez voir, elle est très, très drôle … C’est l’histoire de l’arbre qui n’aimait pas les vaches…

– Ah non ! On lui dit à papa. Pas celle-là, papa !

  Papa, il est gentil mais il ne nous raconte que des histoires rigolotes. C’est pas rigolo… C’est toujours pareil… Finalement… Ça fait rire et puis c’est tout.

– Nous, on veut une histoire triste, une qui fait pleurer, avec des gros sanglots et tout… ».

  Vexé le père s’en va, emportant son livre (L’Arbre en bois). C’est alors que la table de chevet saute sur le lit :

– Hé ! … ho ! Moi je vous en raconte une d’histoire d’arbre, si vous voulez…

– De quoi elle se mêle, celle-là ? grogne Baballe, réveillé en sursaut.

  Baballe, c’est mon chien.  » Celle-là « , c’est la table de chevet, là, dans le coin, avec sa lampe sur la tête…

– Alors, je vous la raconte ou pas ? Qu’elle fait.

– Qu’est-ce que ça raconte ?

– C’est mon histoire à moi et je vous préviens que pour être triste, elle l’est, et pas qu’un peu ! Vous n’allez pas être déçus !

– Vas-y, raconte ! Qu’on lui dit, à la table. » (11)

   Un vrai mélo : pollution, déforestation, exportation, industrialisation et voilà un bel arbre (en bois) rétrogradé en vulgaire table de chevet dans la chambre d’un enfant et d’un chien « tristounets » : « Déjà ce n’est pas drôle de faire la table mais quand, en plus, on n’entend même plus d’histoires drôles, ça non ! Donc, je m’en vais… « Et tous les meubles, toute la déco de la suivre. « Quelle histoire !… » dit Bouboule effondré tandis que l’auteur s’explique: « Dans tous mes livres j’essaie de faire rire les enfants. Une histoire doit être faite non pour les endormir mais pour les réveiller et devrait d’ailleurs leur être lue le matin. Et pour les réveiller il faut les chatouiller avec des histoires qui les font rire. » (12). Les chatouiller ? Corentin est pourtant peu « tactile » : un seul baiser (13), aucun « Je t’aime » et encore moins de câlin (sauf celui du monstre à la fin de Papa !). On l’a dit, l’homme est pudique et son rire est sa marque de tendresse. Avec ça, il ré-enchante le monde désenchanté, sans fatuité.

     Premier album à l’école des loisirs : une chauve-souris orpheline est hébergée chez les souris, sa « famille ». Aussitôt un conflit de valeurs s’engage entre granivores et insectivores, diurnes et nocturnes. Où est le vrai monde ? Puis c’est au statut des animaux domestiques d’être débattu dans Le Chien qui voulait être chat : pénibilité du travail et tentation de l’oisiveté (en 1989 !). Suit la domination d’un ogre anonyme qui s’adjuge les ressources et réduit son voisinage à la misère (L’Ogrionne, 1990 !) puis la course au pouvoir (Le Roi et le roi), la boulimie (Les Deux goinfres), l’agnosie (Zigomar n’aime pas les légumes), la production industrielle et ses dégâts sur la nature (L’Arbre en bois, en 1999 !). Enfin, les tabous : pourquoi ne pas manger l’autre (N’oublie pas de te laver les dents !) ? Les thèmes sont graves, encore d’actualité et les fins peu optimistes : mademoiselle Tout à l’envers et son équipage finit dans le ruisseau, Zigomar atterrit au Pôle Nord au lieu de l’Afrique, Pipioli n’a plus de goût (« jeunème passa sepppabon ! ») et au lieu d’être artiste, il est arpète et modèle de l’auteur (14). Les loups ne sont pas mieux lotis (sauf celui de Patatras !) : l’un est abandonné dans l’eau glacée d’un puits, l’autre revient bredouille de la chasse et doit se contenter d’un Noël végétarien, un autre déclare forfait contre l’escargot et le dernier boit du bouillon près du feu de mère-grand (15).  Les insectes s’enlisent : Biplan dans l’ennui et le père mouche dans ses rêves de grandeur (16). Le chien ne sera jamais chat et le chat perdra son fauteuil, l’ogre sera la risée des crocodiles (17). Trop longtemps méprisés, les gâteaux, les végétaux (mondes parallèles) se vengent : boxe, caramélisation en haut du mât, écorchage à vif, piqûres de châtaigne.

    Sur les couvertures figurent deux envols périlleux (avec Zigomar), un risque de naufrage (les deux goinfres), deux chutes (loup, Père Noël), deux séquestrations (par l’auteur et l’ogre), un cri d’effroi, une querelle. On hurle, on fait la gueule sur treize couvertures contre sept où des sourires s’étalent, plutôt niais. L’époque est rude : elle fait fi de l’imaginaire (oubli du Père Noël), elle ne respecte ni les espèces animales ni le règne végétal, elle laisse les puissants affamer les plus faibles (L’Ogrionne). La vie n’est pas douce, raison de plus pour survivre avec des gâteaux, des amis, des jeux, des livres et du rire. N’en déplaise à Bouboule ça ne fait pas rire et puis c’est tout : ça fait rire et puis c’est TOUT.

    Avant de publier pour la jeunesse, Philippe Corentin a fait du dessin de presse et de la publicité (L’Enragé, Elle, L’Expansion, Le Jardin des modes, Lui, Marie-Claire, Play Boy, Vogue…). Il a conçu des affiches (18), illustré des guides (19) et des romans (Hatier, Gallimard). Dans une époque aussi créative que contestataire, il a vécu les crises, politiques (guerres d’Algérie, d’Indochine, du Vietnam…) et socio-économiques (Trente Glorieuses, surconsommation, baby-boom, industrialisation, urbanisation, exode rural, féminisme, révoltes étudiantes, nouveau statut de l’enfant). C’est en illustrant un conte d’Eugène Ionesco (20), des romans, des recueils (21) qu’il est entré dans un secteur en pleine expansion : « J’ai trouvé ce travail d’illustrateur très ingrat. J’avais l’impression d’être un tâcheron, un tâcheron de génie, mais un tâcheron. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire à l’avenir les dessins et le texte. » (22). Il a alors signé son premier album chez Hachette (23). Quand il entre à l’école des loisirs, à plus de cinquante ans, il sait l’irréversibilité du temps et l’impatience de la jeunesse. Il enroule alors les plaisirs de la vie dans le charme des illusions : aux enfants d’apprendre à succomber sans se trahir. « Tiens, tu ne veux pas plutôt faire le baby-sitter ? » propose le père cochon à Tête à Claques. « Il faut garder des lapereaux dont les parents sont sortis. Vas-y à ma place. C’est facile : tu leur racontes des histoires, tu joues avec… et même tu peux les manger si tu veux. C’est bon le lapin. ». Ah ! le piège des histoires ! Trop naïf pour résister à la brutalité des pères (une gifle, une queue broyée, une oreille tirée), le louveteau est sauvé par ceux qu’il devait manger. Il ouvre alors les yeux et affine son désir. Au début de l’album, il réclamait un dessert « pour lui tout seul », à la fin il veut la vie des autres avec les autres.

     L’œuvre s’ouvre sur un art de vivre tressé de BD, de cinéma, de contes, de dessins animés, de fables, de magazines, de peinture, de littérature. Godard, Perrault, Tex Avery, La Fontaine, Victor Hugo, Benjamin Rabier protègent des jours gris (le « lundi » de Zigomar n’aime pas les légumes). Et tandis qu’il aime la sieste, l’auteur valorise le travail, la belle façon d’être ensemble. On voit un facteur, un mineur, un docteur, des bûcherons, on s’affaire à la maison (jardinage, cuisine), on traverse l’atelier de l’auteur (Pipioli la terreur) : table, outils (crayons, gomme, taille-crayons, cutter, punaises, pinceaux, tubes de peinture) et, sur trois post-it, la vie d’artiste : s’approvisionner (acheter Sienne 10 flacons), prendre des décisions (trouver un titre : Pipioli chez Corentin), se faire payer (demander du blé à Arthur), remplir des obligations (dentiste/impôts), négocier avec l’employeur (revoir contrat, 10% est barré, remplacé par 12%), soigner son public (dédicace).

    L’homme pudique habite ses livres au plus près des enfants. Sa disparition en a choqué plus d’un, plus d’une. Quoi ? Pas de nouvelle histoire idiote de loups idiots ? Plus de nouveau départ dans l’azur ? Pas d’inquiétude. L’auteur a prévu tellement de chausse-trappes que toute relecture est un embarquement inédit. Et puis, il reste cette voix, inoubliable : vaguement inquiète (« Qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce qu’il dit ? »), drôlement autoritaire (« Au lit, on lit ! »), présente, si présente (« Oh ! l’autre ! »). Et ce nez, ce gros nez ! Mais c’est lui, mais c’est bien sûr ! C’est Corentin qui veille au grain : lire en jouant, en se régalant, en s’aimant ! Oups ! Il est parti ! Normal : c’est sa liberté qu’il chérissait par-dessus tout. Pas d’adieu alors, monsieur Corentin, mais tout de même : Faim.

par Yvanne Chenouf – novembre 2022

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(1) Zigomar et zigotos (L’Afrique de Zigomar ; Patatras ! ; Papa ! ; Tête à claques ; N’oublie pas de te laver les dents !), L’école des loisirs, 2012

(2) N ’oublie pas de te laver les dents !

(3)  Pipioli la terreur

(4) Tête à claques

(5) Mademoiselle Tout à l’envers, Pipioli la terreur, Zigomar n’aime pas les légumes, Papa !,Tête à claques, ZZZZ… zzzz….

(6) « A table avec Corentin », Serge Martin, Revue des Livres Pour Enfants n° 266 {en ligne}

(7) L’Afrique de Zigomar, L’Ogrionne, Biplan le rabat-joie, Papa !, Les Deux goinfres, Tête à claques

(8) Florence Gaiotti, Expériences de la parole dans la littérature de jeunesse contemporaine, Presses Universitaires de Rennes, 2009. p. 160.

(9) Machin Chouette

(10) Tête à claques, N’oublie pas de te laver les dents !

11) L’Arbre en bois

(12)  » Tête à tête avec Philippe Corentin « , La Revue des livres pour enfants, n° 80, avril 2008, p. 51 (http://Lajoieparleslivres.bnf.fr )

(13) Mademoiselle Sauve-qui-peut étreint sa grand-mère avant de refuser son invitation à dîner : on ne s’assoit pas à la table du loup.

(14) L’Afrique de Zigomar, Zigomar n’aime pas les légumes, Pipioli la terreur

(15) Patatras !,Plouf !,L’Ogrionne, Le Roi et le roi, Mademoiselle Sauve-qui-peut

(16) Biplan le rabat-joie, ZZZZ… zzzz….

 (17) Le Chien qui voulait être chat, Machin chouette, L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau

(18) Affiche de l’exposition Cité Ciné à La Villette, dans les années 1980

(19) Guide SAS, Gérard de Villiers, Hachette, 1989

(20) Conte n° 3 pour enfants de moins de trois ans, Texte de Eugène Ionesco, éd. Jean-Pierre Delarge, 1976

(21) Ah ! Si j’étais un monstre, Marie-Raymond Farré, Hachette, 1979, 365 devinettes énigmes et menteries, Muriel Bloch, Hatier, 1990

(22) « Tête à tête avec Philippe Corentin », déjà cité

(23) Les Avatars d’un chercheur de querelle, 1981, coll. Gobelune. Dans l’album, on peut lire : « Je te gobe car tu es devenu une mouche.« 

   

Yvanne Chenouf, enseignante et chercheuse, a travaillé à l’Institut national de la recherche pédagogique dans l’équipe de Jean Foucambert ; elle fut présidente de l’Association française pour la lecture (AFL) ; conférencière infatigable, adepte des « lectures expertes », elle a publié de nombreux articles et ouvrages personnels et collectifs à propos de lecture et de livres pour la jeunesse dont Lire Claude Ponti encore et encore (Être, 2006), et Aux petits enfants les grands livres (AFL, 2007) ; elle est à l’origine d’une collection de films réalisés par Jean-Christophe Ribot qui donnent à voir des élèves de tout niveau aux prises avec des ouvrages signés Rascal et Stéphane Girel, François Place, Claude Ponti, Philippe Corentin, Jacques Roubaud. Quoique désormais en retraite, Yvanne Chenouf répond toujours volontiers aux sollicitations qui lui sont faites, encore et encore.

Michel Leiris et Georges Lemoine

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Georges Lemoine publie un nouvel abécédaire

Au cœur de l’importante bibliographie de livres illustrés par Georges Lemoine se nichent d’élégants abécédaires auxquels s’est ajoutée, cet été, une nouvelle création, dans la collection « Alphabécédaire » publiée par la librairie parisienne Michael Seksik.

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    L’idée de cet abécédaire vient de la lecture par Georges Lemoine d’un texte de Michel Leiris extrait de Biffures (Gallimard, 1975). Dans le chapitre « Alphabet » qui occupe une centaine de pages, l’écrivain déroule un fil poétique à partir du mot-titre : sur l’écriture, le son et le sens des lettres et plus globalement sur l’aléatoire du langage. Michel Leiris se laisse notamment porter par les mystères des signes écrits, le sens ou les symboles évoqués par leurs formes. Identifiant dans les pages de l’écrivain un même goût pour l’image des lettres, Georges Lemoine y a puisé la matière pour construire un abécédaire qu’il choisit de dessiner délicatement au crayon sépia, alternant au fil des pages les effets d’aplats avec les jeux de volume ou d’ombre.Après l’avoir proposé à l’éditeur Gallimard, ce nouvel abécédaire est paru finalement début juillet dans le catalogue bibliographique de la Librairie Michael Seksik (Paris 5ème) : 106 exemplaires dans sa collection « Alphabécédaire ». La technique choisie par l’artiste est valorisée par le choix d’un papier crème mat à grain très fin et à fort grammage. La reliure à spirale et la couverture en rhodoïd donnent à ce livre d’artiste une belle modernité.

    Pour cet abécédaire, Georges Lemoine choisit un foliotage conventionnel, reconstituant la linéarité de l’ordre alphabétique, une lettre par page, alors que le texte de Leiris mène sa réflexion de façon aléatoire, au gré des associations. Les propositions imaginatives de l’écrivain prélevées dans le texte original accompagnent les illustrations qui jouent sur l’équilibre entre la forme de la lettre et l’association de significations. L’illustrateur crée à chaque page une image qui invite à un aller et retour avec le texte de l’écrivain, participant à l’énigme par sa synthèse ou l’élucidant grâce à ses détails. Par exemple, c’est un œuf brisé, coquilles au sol, laissant entrevoir le creux caverneux de son intérieur vide qui accompagne le « C », la concavité des cavernes, des conques ou des coquilles d’œufs prêtes à être brisées. Et dans la plupart des cas, les associations poétiques se jouent tant du côté du texte que de l’image. Par exemple, la délicatesse de l’illustrateur se manifeste dans un jeu surréaliste comme celui composé pour le « H » : sous le couperet affuté joignant les montants de la guillotine, silhouette composant la lettre, une ombre légère et improbable est portée en dessous pour rappeler la terrible lunette dans laquelle doit se placer la tête, tout en posant sur la page un astre nocturne.

     D’autres images amplifient la portée des propositions poétiques de Leiris grâce aux trouvailles graphiques : un clin d’œil réaliste quand la lettre-chicane « N » est présentée sur un panneau routier, ou plus métaphysique avec la représentation, entre cosmos et ovule, du « O », en sphéroïde originel du monde… »

     Le lecteur habitué aux jeux visuels de l’illustrateur appréciera aussi le fil de pêche qui court en trompe-l’œil sur la page pour l’hameçon du « J » ou le petit soldat de plomb dont l’ombre trace le « I », rappelant le conte d’Andersen que Georges Lemoine a illustré en 1983 pour Grasset jeunesse.

     Cet ouvrage qui n’est pas spécifiquement adressé à la jeunesse, nous rappelle l’importance des alphabets pour l’artiste attaché à l’abécédaire enfantin comme aux caractères typographiques. Dans la préface de son album Dessine-moi un alphabet (Gallimard, 1983), l’illustrateur confirmait le lien :

« On peut dire que l’homme a depuis toujours cherché à habiller les lettres, et qu’au long des siècles il les a parées de vêtements plus ou moins somptueux, plus ou moins sévères, plus ou moins drôles ou comiques. Les petits enfants d’aujourd’hui, penchés sur leurs cahiers d’écoliers, le crayon feutre à la main, continuent, comme en ce jour d’automne 1147, la rêverie de frère-moine, peintre-enlumineur de manuscrits. Ils voient comme lui : une lune dans le C, une barrière dans le H, un soleil dans le O, un serpent dans le S, un éclair dans le Z. »                               

   Pour rappel, l’histoire de Georges Lemoine avec l’art typographique commence avec sa toute première formation au Centre d’apprentissage de Dessin d’Art Graphique rue Corvisard à Paris, à partir de 1951, quand les caractères sont encore tracés à la main pour le plomb d’imprimerie. Elle se développe ensuite dans différents studios de création pour la presse ou la publicité dans les années soixante jusqu’au studio Delpire au début des années soixante-dix. En tant que graphiste publicitaire, il côtoie d’illustres typographes dont Marcel Jacno à qui il dédie en 2002 son album ABC d’airs tendres, paru aux éditions Point de vues. Dans la postface de cet album, Georges Lemoine qui a eu  « la chance d’être son assistant durant deux années » dit avoir été touché « par la classe, l’élégance de ses créations, la beauté classique de ces compositions graphiques et typographiques ». L’alphabécédaire qui vient de paraitre rend, lui aussi, hommage à cet héritage.

    La création de Georges Lemoine prend source dans une première carrière professionnelle de graphiste, avant sa carrière pour l’édition jeunesse, mais le goût pour la typographie et l’alphabet se continue des visuels publicitaires aux illustrations des œuvres littéraires puis surtout dans la création d’albums-abécédaires comme Pinocchio, l’acrobatypographe (Gallimard jeunesse, collection « Giboulées », 2011). Auparavant, en 1975, un premier abécédaire était paru, édité par Massin. L’éditeur qui ouvrit les portes de Gallimard à Lemoine au début des années soixante-dix, préface l’album Souvenirs de voyage, 26 aquarelles de Georges Lemoine (Paris, éditions Push) en soulignant autant la liberté de l’illustrateur que son habileté à jouer avec l’équilibre des formes pour sa création de lettres. À ce sujet, il faut aussi rappeler plusieurs versions d’un célèbre alphabet intitulé Les feuilles créé pour la revue 100 idées en 1976, repris de façon tabulaire en linogravure, ensuite pour des affiches et intégré sous forme de lettrines dans Le livre du printemps (Gallimard,  collection « Découverte cadet », 1983). En 1981, le prix Honoré (en référence à Daumier) a été remis à l’illustrateur et plusieurs articles de revues professionnelles, comme Graphis ou Caractères, rendent compte de cette créativité typographique.

par Christine Plu – octobre 2022

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Christine Plu est docteur en littérature générale et comparée de l’université de Rennes 2, autrice d’une thèse : Georges Lemoine, illustrer la littérature (XXe siècle). Elle a enseigné à l’université de Cergy-Pontoise, Masters Education et formation et masters spécialisés en littérature de jeunesse. Elle a rédigé la préface de l’ouvrage Georges Lemoine, (Robert Delpire, 2011, collection « Poche illustrateur ») et réalisé un « Entretien-abécédaire » avec Georges Lemoine pour le numéro 236 (2007) de la Revue des livres pour enfants.

 

ALPHABECEDAIRE LEIRIS/LEMOINE a été publié par la Librairie Michael Seksik. Achevé d’imprimer en avril 2022 sur les presses de l’Imprimerie Frazier, 33, rue de Chabrol à Paris. Couvertures sérigraphiées sur les presses de l’Atelier CO-OP, à Paris ; lithographies imprimées par Le Petit Jaunais, à Nantes. Maquette de Jérémie Solomon. Prix unitaire : 95,00 euros. Il a été tiré de cet ouvrage 106 exemplaires sur papier Olin regular crème, à savoir, 15 exemplaires numérotés de I à XV enrichis chacun d’une œuvre originale et d’une lithographie originale, 85 exemplaires numérotés de 16 à 100, enrichis d’une lithographie originale, 6 exemplaires destinés aux collaborateurs ; pour le texte de Michel Leiris issu de Biffures (La règle du jeu, I) : Éditions Gallimard, 1948, renouvelé en 1975.

 

POUR EN SAVOIR PLUS

. Site de l’éditeur : https://librairieseksik.fr/rechercher?q=alphabecedaire&node=10

. Article de Christine Plu dans le numéro 236 de la Revue des livres pour enfants  :  https://cnlj.bnf.fr/sites/default/files/revues_document_joint/PUBLICATION_7284.pdf

. Informations complémentaires sur Georges Lemoine sur  le site de Christine.Plu : https://christineplu.fr/georges-lemoine-illustrateur/

 

 

Pratiques plurilingues

 

 

Coordonné par Véronique Bourhis et Lydie Laroque (1), le numéro 215 du Français Aujourd’hui « Littérature de jeunesse et pratiques plurilingues » (Armand Colin, décembre 2021) est consacré au plurilinguisme en milieu scolaire (2) à travers le prisme de la littérature de jeunesse. Yvanne Chenouf en fait ici la recension.

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    Ouvrir les enfants à la multiplicité linguistique et culturelle tout en légitimant les langues maternelles des enfants dont « la culture d’origine est différente de celle véhiculée par l’école » est l’objectif attribué aux livres bilingues, plurilingues ou monolingues possédant des traductions en plusieurs langues) ainsi que pluriculturels (albums d’images centrés sur « des personnages confrontés à l’altérité, dans l’entre-deux pays, l’entre-deux langues », (p. 66). Les recherches ici présentées, menées au Canada, en France et en Suisse, attribuent à la littérature de jeunesse le pouvoir de mobiliser une pluralité de ressources chez les élèves tant langagières que culturelles ou symboliques. Les livres plurilingues et pluriculturels ouvrent à des débats où circulent des langues à égalité de statut : on parle dans des langues et de chaque langue, et cet entre-langues solidifie l’acquisition du français : « les enfants se sentent autorisés à utiliser leur langue pour s’approprier la langue de scolarisation ». (p. 99)

   À l’AFL (Association française pour la lecture), nous avons très tôt considéré le plurilinguisme comme un atout pour l’apprentissage du français aussi est-il agréable, en lisant le premier article, de retrouver, parmi les premiers livres plurilingues édités (à côté de Orbis sensualiumpictus de Comenius, 1658), la méthode d’apprentissage Rôti cochon (parue entre 1658 et 1704) à laquelle nous avions très tôt consacré un article (3). En France, la diffusion des livres de jeunesse plurilingues date des années 1970, période où la littérature de jeunesse connaît un essor. Il s’agit d’accompagner l’enseignement des élèves dont la langue première n’est pas le français (afin de favoriser le retour des immigrés dans leur pays d’origine on crée les ELCO – Enseignements de langues et de culture d’origine) et de répondre à l’engouement des parents pour l’apprentissage précoce des langues (Tout se joue avant 6 ans dominant les débats de l’époque). Au début, généralement, le français cohabite avec une autre langue (une soixantaine de langues). Prédomine l’anglais, suivi de l’arabe, du portugais, du vietnamien, du chinois et de différents créoles. Les textes valorisent le patrimoine oral de chaque pays, particulièrement lorsqu’il s’agit de langues minorées avec le risque de créer un « ghetto folklorisant » (abondance de contes).  Quand ils ne privilégient pas l’anglais (Gallimard), les éditeurs favorisent les cultures des populations immigrées sans les enfermer. Deux éditeurs se détachent, toujours actifs aujourd’hui dans ce domaine : L’Harmattan, qui a très tôt impliqué les enfants et leurs parents dans des ateliers d’écriture à côté de conteurs patentés et Syros qui a tout de suite favorisé les liens avec le monde arabe en refusant de se cantonner aux contes populaires. Aujourd’hui d’autres éditeurs les ont rejoints parmi lesquels Rue du monde, Didier, etc. Le dispositif iconotextuel a toujours été (et reste encore) central : quelle place, sur les pages, pour chaque langue (hiérarchisation), quelle langue (officielle, populaire), quelle graphie (usage ou non de la phonétique), etc.

    Une première partie présente le fonds de la littérature de jeunesse aujourd’hui disponible à travers des typologies (pp. 23-38). Ce travail, précis, structurant, est une aide pour les enseignants et les animateurs peu familiers de cette production (manque de formation, peu ou pas de proposition plurilingue sur les listes de livres préconisés par l’éducation nationale française). Les pratiques qui se développent sur le terrain rendent cette connaissance nécessaire. Des coopérations parents/enseignants s’organisent en effet pour lire en plusieurs langues, ce qui profite aux enfants « fiers, attentifs, curieux, actifs » (p. 124). Alors que la subjectivité du lecteur est de plus en plus considérée, alors que toute œuvre est interculturelle, la littérature plurilingue pourrait contribuer à conforter l’identité des enfants plurilingues et les ouvrir, avec leurs camarades, non seulement au monde mais aussi aux processus de création, selon les pays. Tout au long de la revue, même dans la seconde partie réservée aux pratiques de classe, les livres sont présents, cités, résumés, analysés, leurs apports reconnus et les besoins de formation revendiqués. Sont ainsi présentés des imagiers qui réunissent un capital lexical de base (mots du quotidien « traduits » en images), des abécédaires qui favorisent la distance avec les systèmes d’écriture (sens de la graphie, notations des graphèmes et des phonèmes), les contes dont le sens, implicite, interpelle et s’interprète et les récits (sous forme d’albums, essentiellement) : dans une autre typologie, moins classique, les documentaires sont inclus (p. 112). En plus de leur dimension linguistique, la plupart de ces livres possède une dimension encyclopédique (connaissance du monde). La traduction reste le point passionnant: citant Umberto Eco (4), les auteurs rappellent qu’on ne traduit pas mot à mot mais « monde à monde » ce qui valorise l’interprétation et repousse l’ethnocentrisme. Sur la page, souvent la double page, les éditeurs optent pour une traduction « simultanée », phrase par phrase ou paragraphe par paragraphe, laissant au lecteur le soin de négocier le sens en s’aidant des images et en transférant sa propre expérience du monde et de la langue sur le texte. Les langues se reflètent, se succèdent, s’enchâssent et se complètent (voir l’éditeur Talents Hauts). Tout choix éditorial révèle son projet : quelle place est faite à chaque langue, quelle vision du monde prédomine, quelle polysémie des images, quelle catégorie sociale représentée, quels genres, etc. On peut regretter l’absence, dans les références, de la célèbre maison d’édition de poésie, Le Port a jauni (wwww.leportajauni.fr) et de sa responsable, Mathilde Chèvre, qui a fait de la question de la traduction (en mots et sur la page) l’axe central de sa réflexion, de son travail et de sa communication. (5)

    Si les apports éducatifs de cette littérature font consensus (tant sur le plan affectif que cognitif) que faire des livres plurilingues en classe ?Comment les lire quand le lecteur ou la lectrice est monolingue ou ignore la langue convoquée ? La seconde partie, consacrée aux comptes-rendus d’activités, est conséquente et variée. On convoque surtout des albums, plutôt connus et faciles à se procurer : en CP, La Grenouille à grande bouche (Francine Vidal, Elodie Nouhen, Didier, 2001), en UPE2A (unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants), un roman graphique tout en images (Là où vont nos pères, Shaun Tan, Dargaud, 2006) et un album (Le Livre qui parlait toutes les langues, Alain Serres, Fred Sochard, 2013), en cycle 3 (classes de langues) La Famille Totem, Alain Serres, Laurent Corvaisier, 2008). Des formations d’enseignants à cette catégorie de livres est parfois signalée (p. 95) afin que les enseignants participent eux-mêmes au choix et à la critique des livres. Parmi la pluralité des pratiques des constantes se font jour : les histoires sont souvent d’abord « racontées » en une ou plusieurs langues, les enfants sont invités à répéter des extraits, à repérer des mots ou des passage (refrains des randonnées, par exemple) et surtout à comparer les langues entre elles, un exercice qui les captive : « c’est rigolo », « c’est presque pareil », « c’est arabe, ici, je le connais », etc. Le corps est mobilisé pour mimer, exprimer mais aussi pour suivre les sensations procurées par les nouvelles prosodies (ça vient du ventre ou de la gorge, la voix change d’une langue à l’autre, etc.). La « retenue » n’est pas de mise quant au choix des langues qui, tout de suite, sont plurielles (pour coller aux réalités des classes) : arabe, créole réunionnais, français, russe, turc au CP, une vingtaine de langues en UPE2A… La production d’écrits, intense, concerne les écrits de travail (classement, comparaison, résumés) et les écrits de création (prolongement des albums, édition, etc.). Une classe d’accueil UPE2A a ainsi produit un livre (Là où vont nos pairs) à partir de l’album étudié et remis cet ouvrage au CDI. Ces projets semblent rompre avec l’enseignement frontal tant ils font appel aux « compétences plurilittéraiciées » des élèves, savoirs dont l’enseignant est souvent dépourvu, ce qui l’assigne à un rôle d’accompagnateur et d’apprenti au même titre que l’ensemble de la classe. (6)

   C’est dans le dernier article de ce numéro que s’affirment principalement les obstacles distillés tout au long des contributions. Les enseignants ne se sentent pas suffisamment  « plurilingues » pour conduire des interactions qui les dépassent et, malgré leur attrait, les livres plurilingues sont rendu suspects par le monologisme institutionnel (Cerquiglini) : on redoute les interférences des langues entre elles au détriment de l’acquisition du français, on se sent dépassé par la multiplicité des prises de parole des enfants, on ne sait que faire de l’entrecroisement des langues, etc. A l’AFL, lorsque nous avions publié ELMO International, logiciel d’entraînement à la lecture en sept langues (7), nous nous étions déjà heurtés au compartimentage des langues et aux craintes d’ouvrir les portes des cours. Malgré ces réserves, l’enquête conduite au Canada auprès des enseignants ayant utilisé des albums plurilingues en classe (pp. 119-127) montre un intérêt proche de l’engouement : en tête des domaines de satisfaction la participation énergique des enfants (« attentifs, toujours contents, intéressés ») puis l’ambiance de travail (« C’est vraiment une belle porte d’entrée pour voir la diversité, impliquer les parents et donner un sentiment d’appartenance aux élèves dont la langue n’est pas le français « ) et enfin la sécurité apportée par la formation (« variété du matériel », « beau matériel, bien structuré »). On remarque la même assurance et le même désir de poursuivre l’expérience chez les enseignants et animateurs formés, en France, par DULALA (association D’une Langue à l’autre). (8)

    En conclusion, ce numéro est extrêmement riche à plusieurs niveaux : on découvre un foisonnement tant sur le plan des recherches que sur celui des pratiques et si, du côté de ces dernières on peut parfois craindre une instrumentalisation des albums (on relève souvent le terme d’exploitation), regretter le manque d’intertextualité (la comparaison des albums renforcerait la prise de conscience de la diversité des visions du monde) et le peu de projets sociaux, dépassant le cadre de l’école (alors que la diversité linguistique est au cœur des débats sociaux), on se réjouit de voir que les albums plurilingues peuvent représenter un levier de transformation de l’enseignement : l’école a besoin de s’ouvrir (aux familles, aux traducteurs…), les enfants peuvent exister avec toutes les composantes de leur identité (moins déficients que surpuissants), et les formateurs sont contraints  d’apprendre avec leurs élèves. Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses pour cette revue consacrée à l’enseignement du français, l’ensemble des articles est agréable à lire malgré (avec) leur degré d’expertise, ils poussent à réfléchir et donnent envie d’agir et des moyens pour combler « le hiatus entre les discours politiques concernant l’inclusion des nouveaux arrivants et leur transposition dans l’environnement scolaire ». Aucun auteur n’a eu besoin de déclarations lyriques pour valoriser tout ce que les projets présentés contiennent de promesse d’émancipation individuelle et collective, de fraternité et de dépassement des clivages : tous les acteurs, qu’ils soient enfants ou adultes, disent le pouvoir du faire ensemble avec ses compétences et ses points de vue, d’où qu’on vienne. Que la littérature de jeunesse contribue à cette libération des corps et des esprits, à une connaissance accrue et respectueuse de soi, des autres et du monde, n’est pas étonnant pour notre revue qui se fait régulièrement l’écho du dynamisme de cette édition. Les éditeurs, dans cette affaire, ne sont pas les moindres partenaires, que leur engagement soit reconnu.

par Yvanne Chenouf – octobre 2022

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(1) Membres du laboratoire  » École, Mutations, Apprentissages  » CY Cergy-Paris Université, INSPE de l’académie de Versailles

(2) Voir de Jean Duverger ex inspecteur responsable de la formation des enseignants à l’étranger : « On apprend à lire qu’une fois » : http://www.lecture.org/ressources/ecrit_surdite/AL31P24.html ; « On apprend mieux à lire avec deux langues » : http://www.lecture.org/logiciels_multimedias/videographix/ecrit_surdite/AL63P38.html ; « Lire, écrire, apprendre en deux langues » : https://www.lecture.org/ressources/bilinguisme/AL85p47.PDF

(3) « Une autre façon d’enseigner la lecture au XVIIème siècle » : https://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL97/page022.pdf ; Cette méthode publiée en 1689 et 1729 est reparue, sous forme d’extraits, chez Fata Morgana (2012)

(4) Dire presque la même chose. Expériences de traductions, Umberto Eco, Grasset, 2006

(5) Voir Le Poussin n’est pas un chien, Quarante ans de création arabe en littérature pour la jeunesse, reflets et projet des sociétés (Égypte, Syrie, Liban), coédition IFPO/IREMAM/Le Port a jauni, 2015

(6) Voir Le Maître ignorant, Jacques Rancière, Fayard, 1987

(7  http://www.lecture.org/logiciels_multimedias/archives_logiciels/archives_logiciels_elmoint.html

(8) Voir l’impact social des formations dispensées par cet organisme sur son site : https://dulala.fr/wp-content/uploads/2020/09/DULALA-RA-2020-VF-2021-08-HD-compresse.pdf; Elsa Valentin, qui écrit dans cette revue, a publié chez Syros en collaboration avec DULALA, des contes plurilingues : Chaprouchka(2020), Gallinella petite poule rossa (2021)

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Yvanne Chenouf, enseignante et chercheuse, a travaillé à l’Institut national de la recherche pédagogique dans l’équipe de Jean Foucambert ; elle fut présidente de l’Association française pour la lecture (AFL) ; conférencière infatigable, adepte des « lectures expertes », elle a publié de nombreux articles et ouvrages personnels et collectifs à propos de lecture et de livres pour la jeunesse dont Lire Claude Ponti encore et encore (Etre, 2006), et Aux petits enfants les grands livres (AFL, 2007) ; elle est à l’origine d’une collection de films réalisés par Jean-Christophe Ribot qui donnent à voir des élèves de tout niveau aux prises avec des ouvrages signés Rascal et Stéphane Girel, François Place, Claude Ponti, Philippe Corentin, Jacques Roubaud. Quoique désormais en retraite, Yvanne Chenouf répond toujours volontiers aux sollicitations qui lui sont faites, encore et encore.

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Lire l’architecture

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Les Éditions du patrimoine publient, à l’initiative du service de l’architecture du ministère de la Culture, une nouvelle collection de livres-jeux, « Archi et Basile », s’adressant aux jeunes lecteurs à partir de 7 ans. Les deux premiers volumes paraissent en octobre 2022, pour les Journées nationales de l’architecture.

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La collection

    Connaissez-vous Archibald ? Archi pour les intimes. Il est le chat aussi espiègle qu’affectueux de Basile, jeune garçon, curieux de nature, qui parfois s’ennuie dans son appartement. Avec cette série de livres, ce duo attachant invite le jeune lecteur à une promenade amusante et passionnante à travers l’architecture et l’urbanisme.

    Dès qu’une fenêtre s’entrouvre, Archi file et se réfugie au rez-de-chaussée de son immeuble, dans l’agence d’une architecte accueillante. C’est si drôle de se nicher au cœur d’une maquette, de griffer les papiers calques, ou de pianoter sur le clavier de l’ordinateur. Ainsi, au fur et à mesure de ses visites pour le récupérer, Basile fait la connaissance de la jeune équipe et découvre le métier d’architecte et les savoir-faire qui y sont liés. Un monde à part, mystérieux au premier abord avec son vocabulaire bien étrange, mais dont Basile se rend compte qu’il est à l’origine de son univers quotidien. Livre-jeu illustré, chaque volume fait découvrir l’architecture de façon ludique et créative à travers 20 doubles pages dans lesquelles toutes les questions de Basile trouvent des réponses, développées par des zooms, des jeux et des activités de dessin qui laissent libre cours à l’imagination du lecteur.

Les premiers titres

    Permis de construire accompagne la rencontre de Basile et de l’architecte. Pourquoi faut-il un architecte pour construire un bâtiment ? Quel est son rôle, avec qui travaille-t-il ? Une maison se construit-elle comme une école ? Et comment être sûr que celle-ci ne s’écroule pas une fois finie ? Comment dessine-t-on une façade ou l’intérieur d’un édifice ? Au fil des pages et des activités, le lecteur croise Le Corbusier ou Antoni Gaudi, il découvre le Centre Pompidou-Metz, et une drôle de piscine transformée en musée !  Il pourra aussi dessiner la maison de ses rêves, son école idéale, une ville imaginaire.

    Dans le deuxième volume,  Chantier en cours !  Basile et Archi visitent avec son amie l’architecte le chantier de construction d’une annexe en bois de son école : intrigué par l’activité des différents artisans, il pose toutes les questions qui lui passent par la tête… Est-elle le  » chef  » du chantier ? Comment coule-t-on un sol en béton ? Comment isoler un bâtiment du froid et du chaud ? Quels sont les outils nécessaires à la réalisation du chantier ? Et d’ailleurs, comment construit-on une gare ou un stade ? Est-ce l’architecte qui aménage les salles de concert ? Une fois encore, le lecteur sera mis à contribution pour aider Basile, à travers toutes sortes d’activités ludiques et enrichissantes.

Une autrice, un illustrateur

    Sophie Bordet-Petillon, journaliste, est une autrice engagée. Elle conçoit et écrit des livres documentaires, des cahiers d’activités et des livres-jeux pour raconter le monde aux enfants et aux adolescents. Elle travaille pour Gallimard jeunesse, Bayard, Tourbillon, Magnard, Palette.

    Rémi Saillard, est diplômé des Arts décoratifs de Strasbourg, ville où il travaille depuis plus de trente ans pour la presse pour enfants (Bayard, Milan, Fleurus) et l’édition jeunesse. Il a publié de nombreux ouvrages entre autres chez Milan, Nathan, Mango, La Martinière jeunesse, Syros, Gautier-Languereau, Tourbillon, Gallimard. Sa palette de techniques d’illustration est riche et variée, donnant toute sa force à son univers graphique, tour à tour drôle et tendre.

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Permis de construire et Chantier en cours ! par Sophie Bordet-Petillon et Rémi Saillard, collection « Archi et Basile », maquette de Grégory Bricout, 52 pages, 14,90 euros.

Merci à Sophie Bordet-Pétillon pour ces informations.

Il faut manifester sans trêve

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Nous faisons notre l’interpellation de Christophe Laluque, co-président de Scènes d’enfance–ASSITEJ France. L’intitulé de cet appel est inspiré de Charles Baudelaire : « Il faut vous enivrer sans trêve »  (Le spleen de Paris, 1869.)

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    Avec la jeunesse et dans la joie, à partir d’aujourd’hui, il nous faudrait toutes et tous retrouver l’envie de manifester. Puis, dans tous les endroits que nous traversons ensemble, ne plus jamais cesser de manifester. Dans les rues, les jardins, les théâtres… Manifester sans trêve.

    Pour la sauvegarde des mots, des images, des lumières et des sons accordés avec intelligence. Pour soigner la poésie, l’imaginaire et l’émotion partagée. Pour la défense d’un art qui nous divertisse de la vulgarité et du sensationnel : être en état de manifestation permanente.

    Manifestons pour dire l’état du monde, dire ce que l’on risque, dire ce que l’on ne veut pas. Manifestons contre l’ignorance, le mensonge, la paresse et la publicité. Contre la bêtise, la violence, le silence, la barbarie, le racisme et la cupidité.

    Pour l’écoute et la parole de chacun.e, le débat et le savoir. Pour que chacun.e puisse dire, avec nous, ce qu’iel a à dire. Le chanter, le danser, l’exprimer comme iel le sent. Pour le maintien d’une culture qui dérange, surprend, agace, réveille, démonte les idées reçues. Pour une culture affranchie des rapports toxiques et commerciaux. Manifestons pour l’exigence d’un art appliqué avec patience, constance, attention et soin : des textes interprétés avec humilité, des sentiments sincères, des gestes retenus. Pour la simplicité, la sobriété, la beauté. Dans l’état du monde actuel, toute création est désormais une manifestation.

    Manifestons contre ceux qui détruisent la planète, avec celles et ceux qui la protègent, contre le règne de l’argent, contre l’injustice… Manifestons pour rappeler tous les holocaustes. Pour entretenir la colère et la sagesse. Pour défendre le peu de l’essentiel, le temps précieux, les lieux publics et les jardins où l’on cultive l’utopie. Pour comprendre la complexité du monde, la nature humaine, l’univers.

    Manifestons pour que l’accès à l’art, l’accès à l’eau, l’accès aux paysages, l’accès aux soins, l’accès à l’éducation, tous les biens communs de notre humanité, soient gratuits pour toutes et tous.

    Manifestons pour une plus juste répartition des richesses. Et typiquement dans la culture, particulièrement dans le spectacle vivant, spécifiquement pour le secteur jeune public. Pour dénoncer les budgets iniques de certaines collectivités qui croient peut-être qu’en travaillant pour les enfants, les professionnel.le.s  jouent à la marchande avec des pièces imaginaires ! Un théâtre à Paris, comme dans d’autres villes, une compagnie, n’importe quel•le artiste, n’importe quelle activité, est scandaleusement moins bien soutenue par les financements publics ou privés, dès lors qu’elle s’adresse spécialement à la jeunesse. Ce sont des enjeux politiques et sociétaux que porte Scènes d’enfance-ASSITEJ France. Manifestons pour défendre les budgets alloués à l’enfance et la jeunesse ! Manifestons pour ne pas disparaître !

    Et si l’on se surprend un soir à somnoler, vautré au fond d’un fauteuil d’orchestre d’un théâtre qui ronronne, ou le matin avec l’envie de manifester quelque peu fatiguée, courons vite à la première représentation scolaire qui se présente. Et nourrissons- nous de toutes celles et ceux qui bougent, qui murmurent, qui rient, qui crient. Demandons aux bébés, aux enfants et aux jeunes, au soleil qui se lève, à tout ce qui prend naissance, demandons-leur ce qu’il faut faire. Iels nous diront de manifester sans attendre.

( par Christophe Laluque – septembre 2022 )

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Merci à Christophe Laluque et à Scènes d’enfance qui nous permettent ce partage.

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À 16 ans, Christophe Laluque rencontre le théâtre au Théâtre Populaire de Champagne. ll suit une formation de comédien avec Jean Brassat, Bruno Sachel, Marc Spilmann et Christian Jéhanin. Il obtient, avec Jean Jourdheuil, une maîtrise de Lettres au département théâtre de l’université Paris X. Il sera assistant à la mise en scène de Christian Peythieu (au CDN de Béthune), de Pierre Barayre et de Marc Baylet-Delperrier. Pendant huit ans, il réalise, sur Radio Aligre, une émission d’entretiens radiophoniques avec des personnalités du théâtre. Il joue pour Pierre Barayre, Marc Soriano, Julien Bouffier et Marc Baylet-Delperrier, avant de se consacrer exclusivement à la mise en scène en créant sa compagnie, l’Amin Théâtre, en 1984. Premier spectacle mis en scène : Aden Arabie d’après Paul Nizan. Parmi les auteurs qu’il met au plateau : Bertolt Brecht, Gertrude Stein, Alphonse Daudet, Rainer Maria Rilke, Robert Walser. Il privilégie désormais les auteurs vivants (Marc Soriano, Patrick Lerch, Jon Fosse, Gilles Clément). Directeur du Théâtre de l’Envol à Viry-Chatillon (Essonne) de septembre 2005 à juin 2011, Christophe Laluque quitte l’endroit pour cause de municipalité hostile et il installe sa compagnie dans la ville voisine de Grigny, « L’Amin Théâtre défend à travers ses créations un théâtre tout public en diffusant les écritures contemporaines dans des mises en scène qui permettent à chacun, enfants comme adultes, de s’identifier à l’histoire à travers ses différents niveaux de lecture. Les créations de la compagnie sont intimement liées à nos projets de territoires. Et nos questionnements sur les publics, notamment éloignés de la culture, nous conduisent sans cesse à développer de nouvelles actions culturelles. » Christophe Laluque est actuellement directeur et programmateur du Théâtre Dunois, scène parisienne pour la jeunesse. Il y présentera prochainement une adaptation de Mon Bel Oranger de José Mauro de Vasconcelos. Il avait, en 2009, créé Au panier ! d’après l’album de Henri Meunier et Nathalie Choux paru au éditions du Rouergue.

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Une collection de bandes dessinées chez Møtus

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« Bulles Bottes Boutons » est une collection de bandes-dessinées et de romans graphiques créée en 2022 par les éditions Møtus qui s’adresse à des lecteurs enfants et d’adolescents âgés de huit à treize ans. Présentation par Séraphine Menu, responsable éditoriale.

    « Bulles Bottes Boutons » aborde des sujets en lien avec la société et le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Elle donne la parole à des auteurs et des autrices qui souhaitent évoquer des thèmes forts, controversés ou inspirants, et fait appel à des illustrateurs et des illustratrices dont le style graphique est innovant, inventif ou présente une esthétique nouvelle.

    À travers la fiction, l’humour et la poésie, la collection « Bulles Bottes Boutons » souhaite transmettre des pistes de réflexion au jeune lecteur et leur prodiguer les bases d’un questionnement sur des thèmes aussi variés que le rapport des Hommes à la nature, les secrets de famille, la politique et les lois, l’Imagination comme refuge… pour parler de la façon dont nous agissons les uns avec les autres, des rouages de la vie en société ou bien de la menace de nos libertés.

    Chaque titre de « Bulles Bottes Boutons » est pensé comme un tout. Un soin particulier est apporté au choix des auteurs et des illustrateurs, à la qualité du papier et de l’impression, au design graphique et à la maquette du livre. L’ambition de la collection est de proposer une gamme de livres dont chacun sera unique dans le format comme dans le thème, qui soit à la fois engagé et graphique, d’une belle qualité de fabrication et d’une grande sensibilité, pour laisser une trace de son passage dans l’esprit du jeune lecteur. Møtus souhaite également que les livres de la collection soient agréables à regarder et à prendre en main, pour qu’une relation privilégiée se tisse entre l’objet-livre et le lecteur.

    Prise de bec de Geoffrey Delinte et Rémy Benjamin est le premier livre de la collection « Bulles Bottes Boutons ». Sorti en avril 2022, il a d’emblée donné le ton de la collection. Dans cet album de bande-dessinée de 52 pages, chaque page est une petite scénette. Le duo belge met en scène le quotidien de différents animaux aux points de vues divergents et aux aspirations distinctes. Ils tentent de vivre ensemble malgré leurs différences, dans une société étrangement similaire à la nôtre. Un cochon employé de bureau et son collègue chien, une aigrette réactionnaire, une maman vache allaitante et militante, un couple de poules lesbiennes qui vient d’adopter un bébé souris et des dauphins-taxis constamment en grève vivent ainsi des aventures loufoques et décalées, amusantes et perspicaces, dont le double niveau de lecture permet d’amener le sourire aux lèvres chez les petits comme chez les plus grands.

    N’en parlons plus de Weng Pixin, le deuxième album de la collection, est sorti un mois plus tard en mai 2022. Cette bande-dessinée semi-autobiographique de 200 pages a été traduit depuis l’anglais et acheté à la maison d’édition américaine Drawn & Quarterly. Elle raconte l’histoire de cinq générations de jeunes filles d’une même famille entre la Chine et Singapour et évoque leurs secrets, leurs relations, les joies et les peines de leurs moments d’adolescence. Le livre aborde le quotidien parfois insouciant mais parfois difficile de ces jeunes femmes, avec beaucoup de douceur et de poésie. N’en parlons plus parle de la nécessité d’ouvrir les portes du passé pour connaitre sa propre histoire, d’instaurer le dialogue et d’interroger ses aïeuls afin de briser les silences qui s’installent entre les générations.

    Le 22 septembre, la collection « Bulles Bottes Boutons » publiera un ouvrage à mi-chemin entre la bande-dessinée et l’herbier écrit par Isabelle Rimasson et illustré par Simon Hureau (à qui on doit le livre à succès L’oasis publié chez Dargaud en 2020). Un jardin extraordinaire raconte l’histoire de Nino, un petit garçon qui découvre au cours d’un été les nombreux secrets que renferme le potager de sa grand-mère. Les merveilles de la nature, l’équilibre des choses et la façon dont prendre soin du vivant n’auront plus de secrets pour lui. Simple, doux et somptueusement illustré à la main, Un jardin extraordinaire invite le jeune lecteur à découvrir les plantes et les fleurs, les fruits et les légumes, mais aussi les papillons, les fourmis et les oiseaux. Le livre encourage à prendre le temps de regarder la nature et d’en savourer ses bienfaits.

    Le dernier titre de la collection pour cette première année sortira en octobre. La boucle d’oreille rose est un roman graphique de 104 pages dont j’ai écrit le scénario et qui sera illustré par Sylvie Serprix. Tout commence lorsque la jeune Mia prête sa boucle d’oreille rose à l’une de ses camarades de classe un matin d’automne. Par ce geste simple, elle ne se doute pas que sa vie et celle de tous les habitants de son village s’apprête à basculer. Le bijou d’apparence inoffensif deviendra au fil des saisons le symbole d’un ralliement, les interdits se multiplieront, les dénonciations aussi. Le poids de la boucle deviendra très vite de plus en plus lourd à porter. Mia et sa famille suivront-ils le mouvement ou décideront-ils de renoncer à leurs privilèges pour maintenir leur liberté ? La boucle d’oreille rose questionne l’effet de groupe et les dérives communautaires, montrant que les grands interdits peuvent commencer par de tout petits détails.

    Dans le futur, la collection entend continuer à publier des livres aux thèmes forts et engagés tout en faisant appel à des artistes aux styles novateurs. « Bulles Bottes Boutons » publiera quatre nouveaux titres en 2023 et quatre autres sont déjà en préparation pour 2024.

(par Séraphine Menu – juillet 2022)

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Grand merci à Séraphine Menu qui nous offre cette présentation détaillée.

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Séraphine Menu est née en Normandie en 1990, dans une petite ville au bord de la mer. « Pendant son enfance, elle regarde les bateaux revenir au port, rêvant de partir à son tour. » Titulaire d’une licence de lettres modernes et d’un master édition, Séraphine Menu est éditrice jeunesse et auteure. Après ses études, elle se spécialise dans le domaine de la jeunesse et collabore à plusieurs projets littéraires et éditoriaux. Elle s’installe à Londres, puis voyage en Asie, avant de poser ses valises au Canada. Après trois ans passés aux éditions La Pastèque, à Montréal, elle rejoint les bureaux parisiens de la maison, en 2018. Elle y assure le suivi éditorial des livres pour la jeunesse et des documentaires graphiques. Elle est autrice, à La Pastèque, d’une série de livres entre album et bande-dessinée destinée aux plus petits, « Les parpadouffes » (2018), et de Biomimétisme, la nature comme modèle, documentaire sur l’imitation de la nature par les êtres humains (2019). Elle a publié, chez Thierry Magnier, deux romans pour la jeunesse, Les déclinaisons de la Marguerite, en 2017, et The Yellow Line, en 2020. Première collaboration avec Møtus, en janvier 2022, avec la publication, en tant qu’éditrice, de Main-oiseau de Benoît Lemennais et Marianne Ferrer.