Claude Duneton

par Jacques Cassabois

 

Cher grand Claude en allé…

Enfin libre.

Enfin souple et léger, ingambe comme tu ne l’as jamais rêvé.

Tu as retrouvé ta voix d’écorce,

tes yeux d’eau salée, dissimulés dans tes sourires de malice,

et le torrent de tes mots, si longtemps obstrué, peut à nouveau jaillir et irriguer de ta paix

nos terres orphelines.

La maladie, depuis treize mois, t’emprisonnait dans ses carcans.

Tu viens de lui fausser compagnie.

Tu es sorti par le haut.

 

L’air se défroisse, sous la percée de l’herbe nouvelle,

discrètement perlée de primevères et de violettes.

Tu as choisi ce temps pour nous quitter.

La nuit est transparente,

des angélus tintent dans le cristal du ciel,

et, sur le rivage, l’océan a couché pour ton pas, une jonchée d’écume.

 

Tu as pris place dans ta barque.

Un bagage t’y attend, léger :

l’amour de tous ceux que tu as aidés, encouragés, accompagnés, préfacés…

J’y dépose le mien à mon tour.

Par-dessus tout ce que tu m’as donné, je conserve ce trésor ultime : ta main gauche de Lille ;

ta main de nos complicités dernières, qui scandait chacune de tes émotions

et qui serrait, serrait…

 

Au large, le continent d’Hyperborée dissipe ses buées,

l’île d’Avallon se découvre et ses vergers d’azur constellés de pommiers.

Des voix amies s’élèvent et te hèlent.

Elles te chantent par les mille noms oubliés de tes incarnations passées.

La lueur de leurs couplets fait danser l’obscurité.

Elles te convient au grand mélange et tu les laisses venir à toi, confiant.

Sous leur souffle, ta voile prend du gonflant.

Tu te détaches peu à peu,

tu t’en vas,

et te voici déjà hors d’atteinte, approchant les confins.

 

O mon bon frère en partance,

il m’est joie de savoir que tu accosteras bientôt.

( mars 2012 )

  

 Né en 1947, Jacques Cassabois interrompt sa scolarité pour devenir comédien. « L’année de mes 18 ans, mon bac en poche, je suis entré à l’école du Théâtre National de Strasbourg. Mon père ne l’a jamais su. Il était mort entre l’écrit et l’oral. » Il devient instituteur, entre à la Fédération des Œuvres Laïques de Seine-et-Marne et découvre la littérature pour la jeunesse. Il participe au comité de rédaction de Trousse-Livres, aujourd’hui Griffon. Participe, un samedi de 1984, avec une vingtaine de ses collègues, à la création de La Charte des auteurs et des illustrateurs dont il est président pendant trois ans. Parmi ses ouvrages : L’homme de pierre (Léon Faure 1981), Le premier chant (Ipomée 1983, Monsieur Pasteur (La Farandole 1985), Les deux maisons ( Hachette 1990) Lauréat du grand prix de la Société des Gens de Lettres et du Ministère de la Jeunesse et des Sports. S’intéressant aux textes fondateurs et aux héros mythiques, tels Sindbad ou Gilgamesh, son dernier ouvrage est consacré à Jeanne d’Arc (Hachette 2011). Merci a Jacques Cassabois pour nous avoir confié cet hommage.