Le rêve de l’écrivain

GRAINE DE POÉSIE

     Pour le poète que je suis, le mot peut être caresse, joie, partage, douleurs, lumière, couleurs… Il existe des mots de fraîcheur qui permettent de marcher dans les déserts arides. Il y a des mots bâtons de nage qui éloignent les maux. Il existe des mots oiseaux qui transportent d’un val fleuri à un sommet enneigé. Il y a des mots d’ombre qui réveillent des colères d’étincelles. Des mots voile de vent qui tamisent les pensées. Des mots rocailles, clair-obscur des sentiments. Des mots sac d’étoiles qui prodiguent une enfance heureuse. Il existe des mots flamboyants, mirobolants aux senteurs de cannelle, de piments et de santal… 

     Les mots sont maîtres de la poésie…

    « Le langage poétique est le seul qui puisse expliquer la complexité de l’homme. Toute vie est un combat entre l’ombre et la lumière », a écrit Aimé Césaire.

    Mais un seul être peut figurer le poème. Un visage est un miracle, chaque regard dit son histoire et la nature peut s’exprimer comme feu d’artifice :

     » Verticales vertes,

      Peupliers poètes,

      Guérissez notre désolation. »

À L’AURORE DU ROMAN

     Écrire un texte c’est chercher le sens secret, profond, inconnu, c’est tenter de donner forme à la vie … C’est hésiter, rejeter tel sujet, choisir une direction, l’accepter, ou attendre le moment d’éblouissement, l’acharnement d’un personnage, l’entêtement d’une histoire. Alors les idées s’organisent autour d’un héros, d’une héroïne. Entraînés dans une intrigue, un lieu, des paysages, des habitations, les  « Nommés » jouent leur rôle. Ils sont parcourus d’impressions, de sensations, de tropismes, fils conscients ou inconscients, ils imposent leurs obligations, le ressenti de leurs passions et avancent dans le creux du récit.

    Une charrette – à laquelle s’attelle l’écrivain – lourdement chargée des personnages qui s’y débattent, contestent, se soumettent, pleurent, rient. Chacun exigeant un rôle à sa mesure.

    Avancée dans des parcours sauvages ou enchanteurs, à travers une ville qui encercle, vers d’inquiétants brouillards ou sur le rivage d’une mer apaisée.

  La langue va son chemin, exige énergie, perfection, métaphores ajustées qui parachèvent l’écriture. On peut mener drame ou roman dans une prose poétique essentielle.

    « On parle dans sa langue, on écrit dans une langue étrangère, déclare à juste titre Jean-Paul Sartre. L’art réclame  une écriture réfléchie, travaillée, métamorphosée.

    Romancer c’est tenter de saisir l’être et ses mystères, c’est explorer les sources humaines et leurs ruisseaux de douceur, de douleur, de fureur, de rencontres, de pulsions, d’enfances pathétiques ou consolantes. Se pencher sur l’humus, observer les ombelles, courir avec le vent, s’envoler avec les oiseaux, respirer toutes les fragrances, tous les remugles, tendre l’oreille au silence et aux subtiles musiques, emporter le lecteur au premier printemps du monde. 

    Le texte devient architecture, nef aux lourdes voûtes soutenue d’arcs et décorée de coupoles ou frêle masure et dans l’air matinal au parfum de rosée, les phrases semées poussent.

    Littérature vitale qui témoigne de l’humain, erre vers le secret, le jadis, l’insaisissable …    

    Mais écrire c’est aussi aborder la barbarie, la dénoncer, la pourchasser. Montrer les exodes, les exils, les exactions, dire l’Histoire sous son voile noir et mortifère et laisser filtrer vers le lecteur des pistes pour mieux résister.

    Écrire afin de faire perdurer le souvenir des morts innocentes, leur offrir une mémoire et un souffle de vie… Nouer les laines d’une tapisserie qui révèle la mémoire d’un groupe.

    Et des abîmes tenter peut-être d’extraire un fil qui puisse conduire vers un espoir plus apaisant …

IMAGES-MIRACLES 

     Un texte peut être accompagnée d’illustrations. Comme une chanson, l’image offre un ailleurs liée à l’imagination de l’artiste. Voix en écho, distanciée et inventive, création différente, délicate, stylisée.

    L’illustration ouvre vers un temps lyrique et donne un autre rythme de lecture. Un repos bienfaisant qui entraîne vers le rêve, vers l’art.

    L’image surprend, étonne, choque, charme, émeut ; elle procure envol et admiration tout en enrichissant le texte.

    L’illustration est une promenade, un art tout comme l’écriture, un jeu d’orgue qui chemine à côté des mots.

    Texte, recherche de la question primordiale, appel à l’autre, déchirure, partage et soulagement en compagnie d’images qui creusent une autre vérité, qui volent vers un ailleurs de surprise et de beauté.

( texte initialement paru dans le numéro 25 de La Gazette de Lurs )

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Rolande Causse travaille dans l’édition depuis 1964. Elle anime, à partir de 1975, de nombreux ateliers de lecture et d’écriture et met en place, à Montreuil, en 1984, le premier Festival Enfants-Jeunes. Une très belle exposition Bébé bouquine, les autres aussi en 1985. Emissions de télévision, conférences et débats, formation permanente jalonnent également son parcours. Parmi ses ouvrages pour l’enfance et la jeunesse : Mère absente, fille tourmente (1983) Les enfants d’Izieu (1989), Le petit Marcel Proust (2005). Nombeux autres titres à propos de langue française et, pour les prescripteurs, plusieurs essais dont Le guide des meilleurs livres pour enfants (1994) et Qui lit petit lit toute sa vie (2005). Rolande Causse est au conseil d’administration du CRILJ.