Maurice et Katia Kraft

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    Maurice Kraft était une force de la nature, une présence, une corpulence, une voix, un rire et un regard. Katia cachait derrière sa mince silhouette une volonté à manger les pentes les plus raides.

    Pour un éditeur, souvent cloitré dans son bureau, l’irruption d’un conquérant de l’impossible laisse toujours une trace impalpable et pourtant tenace. A l’époque, il y a plus de quinze ans, une précédente rencontre avec Gaston Rebuffat m’avait déjà donné cette sensation de croiser le vol d’un grand migrateur.

    La vie des livres devait m’offrir la chance de suivre beaucoup plus régulièrement la route de Maurice et celle de Katia, entre deux voyages, deux aéroports, deux volcans en éruption. Ils avaient en effet choisi la liberté, la recherche en « free lance », car ils voulaient pouvoir sauter dans le premier avion venu, sans en rendre compte à personne, dès qu’un volcan se réveillait quelque part dans le monde. Leurs enfants étaient bien ces montagnes de feu dont les dangers leur interdissaient sans doute les petits de chair et de sang. Les discussions, au fil des livres, tournaient toujours autour de ces êtres chers qui représentaient, pour l’un et pour l’autre, le maître-étalon de la vie. Le grand Maurice se sentait aussi fluet que Katia lorsqu’il retrouvait l’un d’eux. Chaque colère de la terre ne remettait-elle pas à l’heure les pendules de nos petitesses, de nos mesquineries, d’un quotidien que nous avions souvent rêvé différent.

    Lire Maurice et Katia, regarder leurs superbes photographies – dont nous prenions un soin particulièrement attentif puisque, comme Maurice nous le disait d’une voix grondante : « Celle-là, je ne pourrai jamais plus la refaire. » – c’est beaucoup plus qu’une simple, belle et fidèle découverte de la vulcanologie et de la géologie. Entre les lignes, partout, Maurice et Katia affirment leur admination pour la planète Terre sur laquelle, si nous les suivons, nous ne sommes finalement qu’un étrange accident de la l’évolution. Ils n’hésitaint jamais à rappeler que nos horribles armes nucléaires ne sont que des pétards mouillés en comparaison d’une grande manifestation volcanique. Peut-être nous détruirons-nous en les utilisant, mais ce n’est pas pour autant que nous empêcherons la Terre de trembler, les continents de dériver et les volcans de cracher leur flot de lave, de cendres et de gaz.

    Il m’est arrivé plusieurs fois de demander à Maurice et Katia s’ils n’avaient pas peur. Ils me répondaient que seuls les imbéciles diraient le contraire. Bien sûr, ils avaient peur, mais ils prenaient toutes les précautions, toutes les sécurités nécessaires, sachant qu’un volcan, aussi connu soit-il, reste pour une large part imprévisible. Et puis, je me dois de le dire, si Katia et Maurice aimaient la vie, au point de ne jamais « tenter le diable », j’ai souvent eu le sentiment qu’il n’y aurait pas pour eux de plus belle mort que celle qui les unirait définitivement dans les foudres des volcans.

    Katia et Maurice, vous nous manquerez. Merci pour les films, les photographies, les livres que vous nous laissez. Merci pour l’amitié sans faille, l’honnêteté scientifique, le goût de la vraie vulgarisation. Merci pour tous les rêves de voyages-découvertes que vous avez fait naitre. Pour beaucoup d’entre nous, vous serez désormais associés pour toujours aux forges légendaires de Vulcain qui, dit-on, font rougeoyer les entrailles de l’Etre.

    Les légendes ne meurent jamais.

( texte paru dans le n° 42 – septembre 1991 – du bulletin du CRILJ )

C’est pendant ses études à Strasbourg que Maurice Kraft rencontre Katia avec laquelle il se marie en 1970. Ensemble, ils consacrent leur vie à la volcanologie, photographiant et filmant plus de 150 volcans en éruption, en particulier les volcans explosifs, dit « volcans gris » qui les fascinent. Volcalogues indépendants, parfaits vulgarisateurs, ils partagèrent leur passion avec le grand public, multipliant les conférences filmées et rédigeant près de vingt ouvrages, très illustrés, dont plusieurs en direction des jeunes lecteurs. Maurice et Katia Kraft trouveront la mort en 1991 emportés par une coulée pyroclastique sur les flancs du mont Unzen, dans l’île de Kyushu, au Japon.

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