Tout a changé, tout change, y compris le voyage

 

    La maison de famille où cousins, cousines se retrouvaient pendant un long temps de vacances, est transformée en lots. L’indivision, au bout de trois générations, n’est plus supportable et fait des ravages dans les résidences devenues secondaires.

    Les voyages, réservés à l’élite au 19e siècle, se sont démocratisés grâce aux congés payés en 1936 et aux charters en 1970. Puis les documentaires, puis les reportages photos, puis la télévision, puis internet, non seulement démystifient totalement les voyages et leurs destinations mais encore les dépeignent comme des paradis et, ce faisant, gomment la peur de partir.

    Alors est apparu le tourisme de masse : une industrie qui tue son propre objet. Prenez une plage idyllique, n’importe où, dans l’archipel du Kiribati par exemple, mettez y un complexe hôtelier, un aéroport de taille, pour remplir les hôtels, transformez les indigènes en larbins et le tour est joué : c’est l’enfer. Tout le monde ou presque, je parle d’avant la crise, peut « faire » un pays, jusqu’au vieilles veuves qui se lancent sur les routes, et des retraités qui alimentent confortablement les voyages organisés

    Mais la grande nouveauté, la belle nouveauté et malgré tout il y en a une, c’est que maintenant, la peur de partir gommée par les médias, les enfants, du berceau jusqu’à l’âge du chômage, partent loin avec leurs parents et/ou leur grands parents. Avec les grands parents ce sont des voyages de découverte qui peuvent être lointains mais qui sont courts. Avec les parents cela va jusqu’au changement de vie pendant une ou plusieurs années sabbatiques le plus souvent en camping car ou en bateau.

    Les enfants n’ont pas de préjugés.Ils n’ont pas encore appris les différences de classe, le racisme et ils aiment les autres enfants comme une autre image d’eux même. Il n’y a pas de meilleur alibi que les enfants pour communiquer ce qui est le but même du vrai voyage. Il n’y a pas de meilleur outil que le voyage pour la communication familiale, car on s’observe à la loupe. les parents s’aperçoivent de leur propre fragilité les enfants se responsabilisent très vite.

    A voyager en famille les enfants apprennent par eux même à distinguer l’essentiel de l’accessoire et à s’adapter à tout. Le conformisme, l’engrenage des « marques » disparaissent. Ils désapprennent la télévision et goûtent la lecture dans les temps morts de la pérégrination.

    Les guides « voyager avec vos enfants » sont apparus ainsi que les guides destinés aux enfants ce qui prouve que la tendance est là.

    Voyager avec sa famille c’est être à l’école de la vie, en travaux pratiques permanentsn et point n’est besoin d’aller au bout de la terre, on peut découvrir la France par région, à pied ou à dos d’âne, donc le voyage n’est pas mort df vive le voyage !

    Enfants, poussez vos parents à l’aventure !

(novembre 2011)

 

Au terme de dix années de voyages sur tous les continents, Catherine Domain, petite-fille d’un grand-père navigateur au long cours et d’un autre libraire en Périgord, ouvre en 1971 la première librairie au monde spécialisée dans les voyages. Désormais installée au 26 rue Saint Louis en l’Île à Paris, la Librairie Ulysse – dont la marraine est Ella Maillard et le parrain Hugo Pratt – propose plus de 20 000 livres neufs et anciens, des revues et des cartes sur tous les pays et pour tous les voyages. Catherine Domain est membre du Club des explorateurs et du Club international des grands voyageurs. Elle a fondé le Cargo Club pour les passionnés de mer ainsi que le Club Ulysse des petites îles du monde. En 2007, elle fonde le Prix Pierre Loti qui récompense un récit de voyage paru dans l’année, Attention : pour rencontrer Catherine Domain entre juin et septembre, il faudra aller jusqu’à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) où, dans un ancien casino de style mauresque, elle tient librairie d’été. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte, en écho à Littérature du grand large : aventures et voyages, numéro 3 juste paru des Cahiers du CRILJ.

La littérature n'est pas un luxe

   Essayons d’y voir clair. On nous dit depuis plus d’un an que « Faire accéder tous les élèves à la maîtrise de la langue française est le premier objectif que le socle commun fixe à la scolarité obligatoire » (1) et que pour ce faire, il importe de développer un plan de prévention (précoce) de l’illetrisme. « Le premier rôle de l’école est d »apprendre à bien lire à tous les enfants. Elle doit leur permettre d’exercer cette compétence avc facilité et plaisir. C »est pourquoi dès l’école maternelle, les programmes donnenr la priorité à la maîtrise de la langue française » (2). On nous dit encore qu’un « illetré, c’est un adulte qui a été scolasisé mais qui a désappris faute d’apprentissages solides et de pratique suffisante. » (discours de Luc Châtel le 29 mars 2010 au Salon du livre. (3) Et que constate-t-on dans de très nombreuses classes ? Une réelle désaffection pour le livre … et la littérature.

    Les programmes 2002 avaient développé l’axe de la culture littéraire à tel point qu’un réel élan s’était fait sentir dans les pratiques des enseignants qui ont tenté dans les années qui ont suivi de tenir compte des injonctions. Exemple pour le cycle 3 : « Chaque année, deux ‘classiques’ doivent être lus et au moins huit ouvrages appartenant à la bibliographie de littérature de jeunesse contemporaine. » Cette bibliographie présentait six genres (album, roman, conte, théâtre, bande dessinée, poésie) et les enseignants se disaient que oui, peut-être, ils ne variaient pas suffisamment les lectures (le roman était le genre essentiellement lu) et ils se sont mis à emprunter ou acheter de nombreux livres authentiques pour leur classe et à se former. Les pratiques ont été diverses, certes, mais les pratiques étaient réelles. L’objectif annoncé (« faire de chaque enfant un lecteur assidu » – Bulletin Officiel HS n°1 du 14 février 2002) semblait partagé par bon nombre d’enseignants.

    Cet élan a été brisé : les emprunts ont fortement baissé, les pratiques en littérature sont restreintes, et même à l’école maternelle, certains inspecteurs de l’Éducation nationale constatent que les livres ne font plus partie du « paysage » de la classe ou de l’école. Comment est-ce possible ? Je rappelle, en répétant volontairement les premières lignes de ce texte, qu’un « illettré, c’est un adulte qui a été scolarisé mais qui a désappris faute d’apprentissages solides et de pratique suffisante.«  Où se cache actuellement la « pratique suffisante » ? Luc Châtel déclare qu’il a fallu réaliser « un recentrage salutaire sur les apprentissages fondamentaux. » Quand on compare les programmes pour le cycle 3, on constate que les injonctions en littérature étaient en 2002 développées en 10 374 caractères (sans espaces), plus trois documents d’accompagnement des programmes – Lire et écrire au cycle 3 et Littérature, cycle 3, CDNP, 2002 et 2004, coll. « Documents d’application des programmes » soient 12, 64 et 128 pages –, et le sont en 894 caractères sans espaces en 2008 plus un document d’accompagnement de 10 pages peu diffusé (Une culture littéraire à l’école, littérature à l’école, ressources pour le cycle 3, mars 2008). La littérature détournait-elle les enseignants et donc les élèves de la maîtrise de la langue française ? Non, me dira-t-on, la preuve en est que sa pratique est toujours prescrite : « Chaque année, les élèves lisent intégralement des ouvrages relevant de divers genres et appartenant aux classiques de l’enfance et à la bibliographie de littérature de jeunesse que le ministère de l’Éducation nationale publie régulièrement. » (B.O. HS n°3 du 19 juin 2008). La place réduite de cette annonce, la disparition du critère chiffré et le discours ambiant ont sans doute fait que les enseignants ne l’ont pas lue ou pas retenue. Ils ont retenu un amoindrissement et ils le répercutent ! Même à l’école maternelle où les demandes portent davantage sur la phonologie et le vocabulaire que sur de bons textes à faire découvrir. Au cycle des fameux « apprentissages fondamentaux », dont l’apprentissage de la lecture,  » [l]’appui sur un manuel de qualité est un gage de succès pour cet enseignement délicat.  » Et là aussi, certains discours des personnels d’encadrement donnent à cette phrase une importance prédominante alors qu’elle est immédiatement suivie de celle-ci : « La lecture de textes du patrimoine et d’oeuvres destinées aux jeunes enfants, dont la poésie, permet d’accéder à une première culture littéraire.«  (B.O. HS n°3 du 19 juin 2008). Et comment serait-il possible de viser certains objectifs en s’en tenant au manuel ? Par exemple, cet objectif extrait du programme pour le cycle 2 (Français, 2 – Lecture, écriture) : « les élèves apprennent aussi à prendre appui sur l’organisation de la phrase ou du textequ’ils lisent. Ils acquièrent le vocabulaire et les connaissances nécessaires pour comprendre les textes qu’ils sont amenés à lire. » Mais le manuel a le vent en poupe, il est aux yeux de certains le  » représentant  » du livre ! « À l’école primaire, l’usage de manuelsscolaires conformes aux programmes, dans l’esprit et dans la lettre, permet aux professeurs de disposer d’outils pédagogiques de référence et aux élèves de consolider leurs apprentissages. (…) car l’on n’enseigne pas sans livre, pas plus que l’on n’apprend sans livre, la photocopie nepouvant en tenir lieu. » (B.O. n°18 du 5 mai 2011). On aimerait lire de telles injonctions pour d’autres types de livres, contenant un écrit digne de ce nom.

En outre, j’ai l’impression d’avoir mal lu l’extrait du B.O. pour le cycle 2 : « La lecture de textes du patrimoine et d’oeuvres destinéesaux jeunes enfants, dont la poésie, permet d’accéder à une première culture littéraire. » ? Première culture littéraire ? N’a-t-elle pas débuté avant, à l’école maternelle ? Le même B.O., dans le programme pour l’école maternelle : « Les enfants se familiarisent peu à peu avec le français écrit à travers les textes lus quotidiennement par l’enseignant. Afin qu’ils perçoivent la spécificité de l’écrit, ces textes sont choisis pour la qualité de leur langue (correction syntaxique, vocabulaire précis, varié, et employé à bon escient) et la manière remarquable dont ilsillustrent les genres littéraires auxquels ils appartiennent (contes, légendes, fables, poèmes, récits de littérature enfantine). Ainsi, tout au long de l’école maternelle, les enfants sont mis en situation de rencontrer des oeuvres du patrimoine littéraire et de s’en imprégner. »

    Les convictions ne semblent pas partagées par tous les rédacteurs des programmes, c’est donc bien dès l’école maternelle que la littérature a toute sa place ! Mais pas seulement dans les discours (« lire aux élèves de façon précoce des textes de qualité, lesgrands textes de notre littérature, suscite le plaisir du texte et aide à la concentration de l’attention. » – Discours de Luc Chatel le 29 mars 2010), dans les classes ! Avec le soutien et l’encouragement des inspecteurs de l’Éducation nationale ! Et pas seulement pendant les vacances ! Enfin… une injonction d’un seul livre pour deux mois… (« Je crois encore qu’il est de ma responsabilité de ministre de l’Éducation nationale que la lecture ne s’arrête pas aux portes de l’École. » – Opération « Un livre pour l’été »).

    Il faut dire, et redire, pour terminer, que la faiblesse des injonctions vers « les livres » se mesure également par l’amoindrissement des injonctions à fréquenter les lieux de lecture. En 2002, on lit dans le texte des programmes : « Là encore, il convient de ne pas être pusillanime et de pousser chacun à emprunter fréquemment des livres dans les bibliothèques accessibles (BCD, bibliothèque publique du quartier, bibliobus, etc.). Un livre par mois au moins devrait être considéré comme une base même si l’onsait que, pour certains élèves, les lectures personnelles du cycle 3 passent encore beaucoup par la lecture à haute voix des adultes. » Plus rien à ce sujet dans les programmes 2008 (L’exhortation existe toujours à la dernière page du document d’accompagnement, qui l’a lue ?) (4) Si bien que ce sont très majoritairement les enfants de familles déjà acquises à cette culture si essentielle pour l’écrit qui en bénéficient et pas ceux qui risquent d’être les futurs illettrés par manque de pratique ET familiale ET scolaire.

    La littérature n’est pas un luxe, c’est sa fréquentation qui contribue à rendre les « apprentissages solides », c’est un bien social à partager dès la naissance. Les communes qui continuent à offrir des livres aux bébés, les collectivités qui s’engagent pour ouvrir des médiathèques l’ont compris. L’Éducation nationale l’oublierait-elle au quotidien ?

(1) http://eduscol.education.fr/cid50655/prevention-illettrisme.html

(2) idem

(3) http://www.education.gouv.fr/cid50954/prevention-de-l- illettrisme.html

(4) http://eduscol.education.fr/file/ecole/46/9/culture-litteraire-ecole_121469.html

 

Professeur des écoles, maître formateur, responsable de la médiathèque du Centre Départemental de Documentation Pédagogique des Ardennes, Annie Janicot est vice-présidente de l’Association Française pour la Lecture (www.lecture.org). Merci à elle pour nous avoir confié ce texte initialement paru en éditorial du numéro 115 de septembre 2011 des Actes de Lecture.

Théâtrales Jeunesse a 10 ans

 

En septembre 2001, les éditions Théâtrales lançaient la collection « Théâtrales Jeunesse ». La fête des 10 ans court sur toute la saison 2011-2012 et, a cette occasion, les auteurs de la collection sont mis à l’honneur à travers une série d’entretiens filmés, réalisés par Charlotte Cornic, Sophie Goudjil et Alexandra Lazarescou.

Marine Auriol, Hervé Blutsch, Henri Bornstein, Michel Marc Bouchard, Jean Cagnard, Jean-Pierre Cannet, Bruno Castan, Françoise du Chaxel, Stéphane Jaubertie, Suzanne Lebeau, Yves Lebeau, Sylvain Levey, Dominique Paquet, Françoise Pillet, Dominique Richard, Karin Serres et Roland Shön, nous livrent ici quelques tranches de vie et instantanés de leur univers dramaturgique. C’est ici, sur Viméo.

Vous pouvez aussi cliquer directement pour écouter :

Françoise de Chaxel

Marine Auriol

Hervé Blutsch

Dominique Paquet

. Karin Serres

. Sylvain Levey

. Yves Lebeau

. Roland Shön

et neuf autres entretiens à venir …

D’autres initiatives (des lectures, des rencontres, des happenings) sont d’ores et déjà programmées, au Salon du lvre jeunesse de Montreuil, mais pas que. Et ce jusqu’au marathon de lecture « 10 heures pour les 10 ans de la collection Théâtrales Jeunesse » prévu au Théâtre Hébertot, le 14 mai 2012, de 14 heures à minuit.

(merci à Alexandra Lazarescou pour ces informations)

 

 

 

 

 

Qu’est-ce que le CRILJ/Loire ?

 

 La section régionale du CRILJ/Loire est, avec celle de l’Orléanais, la plus ancienne. Sur son site, on peut lire la présentation suivante qui, à l’heure où de nombreuses structures de promotion du livre pour la jeunesse peinent à survivre ou à trouver leur second souffle, affirme sans langue de bois ses raisons d’être et ses objectifs.

Le CRILJ-Loire se donne pour objectif fondamental d’œuvrer à la promotion d’une littérature de jeunesse diversifiée, porteuse :

– d’un patrimoine de valeurs humanistes fondé sur l’accès de tous à la culture, le respect des différences rendant la vie collective possible, le développement de l’esprit critique et de l’esprit de libre arbitre.

– d’une esthétique suscitant plaisir, émotion et questionnement.

( article 2 des statuts )

Le CRILJ est une association militante en faveur de la littérature de jeunesse et qui œuvre au développement de la lecture des jeunes.

Le CRILJ est une association communautaire de personnes partageant leur passion, leur savoir-faire.

Le CRILJ est une association de service délivrant formation et information aux adhérents pour une meilleure connaissance de la littérature de jeunesse et du conte.

Le CRILJ est une association d’intervention auprès des jeunes et des adultes pour donner le plaisir de lire, le plaisir de conter, et peut-être l’envie d’écrire.

( site du CRILJ-Loire : http://www.crilj-loire.org )

 

Sylvain et Sylvette ont trois maisons (d’édition)

 

Alors que cette série avoisine le trois centième album, il est bon de se rappeler que Sylvain et Sylvette vit sa première parution en 1940 dans le numéro 38 d’Âmes vaillantes (journal de l’Action catholique des enfants) et non le 31 août 1941 dans Cœur vaillant- Âmes vaillantes édition rurale comme le signalent presque tous les documents à leur sujet. En vertu de quoi les éditions P’tit Louis communiquent allègrement qu’ils vont livrer huit albums en 2011 et 2012 avec Pesch pour le soixante-dixième anniversaire de la série.  La création de Sylvain et Sylvette est due au champenois Maurice Cuvillier (né à Dormans dans la Marne en 1897) qui les dessine jusqu’à son décès en 1956. Sous le crayon de ce dernier, les ennemis de Sylvain et Sylvette sont au départ le Renard, le Loup et le Sanglier ; ces trois personnages historiques sont rejoints par l’Ours Martin dans le cinquième album. Les caractères se sont fixés peu à peu et ainsi le sanglier donne maintenant un regard ironique sur les échecs de ses trois autres compères ; des personnages devenus presque récurrents se sont imposés comme monsieur Tartalo (au physique bienveillant de grand-père) un bricoleur d’objets techniques présenté comme un inventeur ou un savant génial, il introduit ainsi mieux le couple d’enfants dans la modernité. Sylvain et Sylvette sont des petits fermiers vivant à la lisière de la forêt qui possèdent au départ comme animaux : l’âne Gris-Gris, l’oiseau Cui-Cui, le chat Moustachu, le lapin Panpan, la chèvre Barbichette, l’agneau Mignonnet, le rat Raton et la poule Poulette. Dans Sylvain et Sylvette aux prises avec les bêtes sauvages le dixième  album de Maurice Cuvillier, les jeunes héros étaient partis en vain à la recherche de leur mère en Afrique ; ce fut l’occasion de sympathiser avec des animaux exotiques. Après le décès de Maurice Cuvillier durant une trentaine d’années par l’Angevin Pesch et le Lorrain Dubois (il y a également une demi-douzaine d’albums signés Pierre Chéry) alternent dans la création de Sylvain et Sylvette. Pesch fait entrer en scène d’autres personnages récurrents comme le canard Coincoin, Hulerbulu le hibou, Tiffany le basset, Basile le neveu de l’ours et deux animaux ayant des troubles du langage bien connus des jeunes (Cloé la tortue qui zozote et Croa le corbeau qui bégaye) et se refuse à intégrer un cochon à cet univers. Pesch a aussi introduit quelques pages de jeux en fin d’album. L’éditeur Dargaud, tout en continuant à diffuser de très nombreux titres de Pesch  écrits dans les années quatre-vingt-dix et deux mille, avait confié en 2001 à Bérik (Frédéric Bergèse, le fils Francis Bergèse) et Bélom (Jean-Loïc Belhomme) le soin de continuer les aventures des deux jeunes héros, aussi on leur doit huit albums dont le dernier sorti en mars 2011 s’intitule La Mare aux gags. Ce titre fait partie de l’ensemble des quelques albums que Bélom a scénarisé (reconnaissables au fait qu’ils ont dans leur titre le mot « gags ») où chaque page porte une mini-aventure propre avec une chute comique langagière ou visuelle. Réapparaissent ici ponctuellement certains détournements d’objets. Pour La Mare aux gags le scénariste a tenu à mettre en scène tous les animaux de l’univers familier des héros (les animaux rencontrés lors des quelques aventures exotiques sont absents). L’album a certains gags qui conviennent plus à un jeune lecteur et d’autres à un adulte nostalgique de la série, ayant des références culturelles en rapport. Ainsi écrire Adam et Ève sur un arbre sans dessiner les personnages en question rend l’histoire totalement hermétique aux plus jeunes et le titre savoureux « Roulez Genèze » ne fait que renforcer l’hypothèse que parfois l’humour ne peut être goûté que par une personne sortie du monde de l’enfance.

    Pesch jusqu’en 2009 continuait à produire ponctuellement un album de Sylvain et Sylvette chez Dargaud ; il vient de trouver un nouvel éditeur P’tit Louis et en 2011 puis 2012 doivent paraître plusieurs petits albums écrits en collaboration pour le scénario avec tantôt le même Jean-Loïc Belhomme ou Bruno Bertin, quand il ne s’en est pas occupé lui-même. Il est à noter que ces productions chez P’tit Louis ne sont pas de la bande dessinée, le texte est au-dessus de l’unique image présente sur une page (il s’agit d’album du type de ceux du Père Castor) et comme la pagination s’arrête à 24, les histoires sont donc extrêmement courtes et s’adressent par leur intrigue à des enfants d’âge de la maternelle (à condition d’adapter certains mots de vocabulaire, on voit mal les très jeunes enfants auxquels s’adresse ce livre comprendre par exemple « importuner »). Sur les huit albums annoncés et présentés tous comme des nouveautés, plus de la moitié sont en fait des rééditions déjà parus chez des éditeurs différents il y a moins d’une génération, avec à l’origine parfois un enregistrement sonore non présent chez P’tit Louis.

    Claude Dubois et Pesch ont vieilli les héros en augmentant leur taille, réduit en proportion le volume de leur tête et affinant leurs traits du visage. Dans les albums de Maurice Cuvillier, les Compères apparaissent sous un angle assez cruel, on croit bien plus à leur détermination d’éliminer Sylvain et Sylvette ; Pesch et ses scénaristes atténuent considérablement  leur dangerosité. Maurice Cuvillier le créateur de la série les faisait vivre dans un monde de gags visuels où par exemple un tabouret accroché au mur servait comme cible pour lancer des anneaux autour de ses pieds, cet aspect de détournement d’un objet à d’autres fins était fidèle à l’esprit de la presse française enfantine d’avant-guerre à laquelle il avait collaboré (travaillant en particulier pour de nombreux titres de la presse Offenstadt et des éditions Montsouris) ; ces gags avaient l’avantage de relancer l’intérêt. Cette série Sylvain et Sylvette  en BD plaît beaucoup aux enfants jusqu’à neuf ans ; ils y voient des jeunes déjouer leur propre crainte d’être mangé quoi que cet imaginaire soit réduit par Pesch qui parle beaucoup pour les compères de l’objectif de s’emparer des provisions de Sylvain et Sylvette (et à la rigueur de dévorer les animaux mais pas le couple d’enfants), des caractères dans la fratrie rassurants par leur conformisme (Sylvain impulsif et téméraire alors que Sylvette est plus réfléchie mais moins courageuse), un univers animalier très dense et last but not least pouvoir être un méchant élaborant des plans diaboliques à travers le personnage du renard. Heureusement depuis 1997 les éditions du Triomphe rééditent les aventures dessinées par Maurice Cuvillier qui sont parues dans Fripounet et Marisette dans les années cinquante et n’avaient pas connues d’édition en album jusqu’ici (c’est le cas pour huit titres) ainsi que plusieurs albums qui étaient parus chez Fleurus en albums souples (vingt-cinq à ce jour) ; le format à l’italienne choisi est bien plus adapté au jeune lecteur (page ayant un nombre de vignettes moindre et d’une grandeur plus importante). Il est évident que c’est vers ces rééditions qu’il faut se tourner si on veut un titre de BD qui change un peu du énième album de Pesch dont une dizaine de titres de Sylvain et Sylvette sous son crayon, sont présents dans toutes les bibliothèques de France et de Navarre. La Mare aux gags propose elle une succession de strips humoristiques qui élargissent l’univers fictionnel de Sylvain et Sylvette.

 

Professeur des écoles, Alain Chiron s’intéresse à l’œuvre d’Ernest Pérochon pour les jeunes, aux romans scolaires, aux journaux pour enfants de la période 1914-1918. Il s’intéresse aussi à la littérature de jeunesse francophone, à la bande dessinée, à l’histoire des sections jeunesse des bibliothèques municipales, à l’histoire des musées, à l’histoire de l’enseignement, aux instituteurs pacifistes à la Belle Epoque et aux pionniers de la pédagogie Freinet. Parmi ses publications, plusieurs contributions aux Cahiers Robinson et cinq articles (Fillette, L’Épatant, Le Bon Point amusant, Pérochon, Jauffret) dans Le Dictionnaire du livre et de la littérature de jeunesse en France (à paraître en 2011). Merci à lui pour nous avoir confié cet aricle.

Les Francas et la lecture

Dès 1944, les premiers textes fondateurs du Grand Mouvement (première appellation du Mouvement des Francs et Franches Camarades puis des Francas) prévoyaient de publier un hebdomadaire à gros tirage s’adressant aux jeunes de huit à 14 ans. Les aléas du démarrage repousseront ce projet de quelques années puisque c’est en 1953 que paraît Jeunes Années, sous-titré « L’almanach de l’écolier et de l’écolière », magazine dont Alain Fourment dans son ouvrage Histoire de la presse des jeunes et des journaux pour enfants dit qu’il a contribué à faire naître une nouvelle conception du journal pour enfants.

Sous différentes formes, seuls ou en partenariat, nous avons donc agi à la fois dans le domaine de l’édition et dans celui de l’information. Cela a été le cas avec la brochure Une année de lecture produite par Jacqueline et Raoul Dubois qui faisait une présentation critique de la production annuelle des livres pour la jeunesse ou encore avec un accompagnement à la mise en place de la base de données Livrjeun créée par le CRILJ des Yvelines (Roger Boquié et Monique Bermond) avec le soutien de l’Association Française pour la Lecture. Le relais a été pris aujourd’hui par l’association Nantes Livres Jeunes.

Nous continuons aujourd’hui à proposer différentes opérations d’animation au niveau de notre Fédération mais surtout dans les départements et au plan local : mise en place de malles lecture, de station-livres, rencontres inter-centres, etc. Cela se complète par la mise en place des séquences de formation dans ce domaine dans le cadre du BAFA ou de formations destinées à des professionnels.

« L’éducation doit être harmonieuse, c’est-à-dire faire appel à toutes les techniques, tous les arts, toutes les formes d’expression qui permettent à chacun l’accomplissement de la personnalité et l’insertion volontaire dans une collectivité humaine » écrivions-nous dès 1969.

Ainsi, quelle que soit la forme d’intervention retenue nous agissons avec cette volonté, maintes fois réaffirmée, de valoriser l’importance de l’écrit et de considérer presse et littérature de jeunesse comme des composantes essentielles de l’activité éducative et culturelle en direction des enfants et des jeunes.

Enfin nous agissons en prenant en compte deux orientations complémentaires et indissociables : avoir une action pédagogique en direction des individus, avoir une action à la fois pédagogique et politique sur notre environnement.

Le premier type d’action doit permettre à chacun d’acquérir puis d’entretenir des compétences de lecteur et donner à l’enfant l’envie et le besoin d’avoir en permanence recours à l’écrit pour créer et entretenir des projets de lecture ou d’écriture.

L’action sur l’environnement doit être pédagogique au sens où elle doit permettre que tous ceux qui accompagnent l’enfant dans l’apprentissage de la lecture, dans le développement du goût de lire, puissent partager les enjeux de l’action pédagogique en direction des enfants. Cela suppose une certaine complémentarité mais cela exige surtout une cohérence, s’informer et s’expliquer sur le rôle des uns et des autres.

Si l’on considère que la lecture est l’affaire de tous (la famille, l’école, le temps libre), cette action est aussi politique au sens où elle doit, sur un territoire donné, concerner l’ensemble des temps de vie de l’enfant et les différentes personnes ou institutions qui participent à son accueil. Ainsi, il ne suffit pas de parler, de manière générale, d’une politique de la lecture. Il faut, à l’échelle d’un quartier, d’une ville, d’une communauté de communes, pouvoir observer les besoins des publics puis recenser et mettre en synergie les moyens disponibles pour développer la relation à l’écrit. Cela suppose complémentarité et cohérence des actions pédagogiques mais aussi développement de accessibilité à l’écrit : accessibilité économique certes, mais aussi physique (comment répondre aux besoins au plus près des publics), informative (faire connaître les différentes possibilités d’accès à l’écrit sur un territoire donné) et socioculturelle (faire comprendre que l’écrit est à la portée de tous).

L’ECRIT DANS LES ACTIVITES DE LOISIRS

1) Quels écrits ?

D’abord il nous semble important de mettre en avant la place de l’écrit – et donc à la fois de la lecture et de l’écriture – pour ne pas réduire l’action dans ce domaine à la seule promotion de la littérature de jeunesse, plus particulièrement du livre, même s’il s’agit d’une action indispensable. La presse en particulier, la bande dessinée, Internet aujourd’hui, ont aussi toute leur place dans les activités à proposer dans les temps de loisirs.

Au-delà de l’utilisation de cette production, particulièrement riche et diversifiée, il est essentiel aussi de s’appuyer sur ce qu’on peut appeler les « écrits du quotidien » qu’il s’agisse de ceux que l’on rencontre dans la structure d’accueil (le programme d’activités, le règlement du centre, les menus, la lettre des correspondants) ou dans son environnement proche : qu’est-ce qu’on peut lire dans la rue, à la devanture des magasins, etc.

2) Découvrir l’écrit, pourquoi ?

Proposer aux enfants et aux adolescents d’aller à la découverte de l’écrit c’est à la fois :

– agir dans le domaine de la médiation pour donner envie de découvrir et d’utiliser cette composante de leur environnement ;

– s’appuyer sur les apprentissages scolaires et les conforter : développer les capacités de lecture, les comportements de lecteur ;

– donner les outils permettant à chacun d’exercer son sens critique et d’être en capacité de choisir ou les outils permettant de s’informer, de communiquer et de produire soit même de nouveaux écrits.

3) S’appuyer sur les spécificités des temps de loisirs

Une action dans les temps de loisirs, péri ou extrascolaires permet aux enfants de s’approprier des savoirs en les investissant volontairement dans un autre contexte que celui de l’apprentissage, à leur propre rythme, dans des situations diverses.

Elle constitue un espace où ils peuvent découvrir des situations, réaliser des expériences hors du cadre familial ou scolaire, avec des adultes qui n’ont ni l’autorité parentale, ni l’autorité professorale. C’est un espace de choix, de réalisation collective de projets avec ses pairs, d’échanges de savoirs.

Les activités de loisirs ont l’intérêt de n’être pas contraintes par des programmes ou par des exigences de résultats autres que celles que le groupe se donne. Elles développent qualitativement les savoir-faire, les savoir être, et concourent à l’enrichissement des connaissances.

Ainsi ces activités, dans leur diversité, favorisent les apprentissages scolaires, les complètent, les valorisent, parfois les suscitent. En complément des activités du temps scolaire, elles constituent une source d’enrichissement personnel, de formation individuelle sociale et culturelle. Elles offrent également aux enfants et aux adolescents des espaces de participation, dans lesquels une large place est laissée à l’initiative et à la spontanéité. Elles tiennent un rôle majeur dans l’acquisition des compétences sociales.

Enfin, compte tenu des conséquences de l’évolution des temps sociaux sur le temps de vie des parents, compte tenu aussi de l’augmentation des situations de pauvreté et de précarité cette action contribue à la réduction des inégalités d’accès à l’offre éducative.

4) Une approche pédagogique

Quatre niveaux d’intervention peuvent être retenus, même s’il ne s’agit pas de passer par quatre étapes successives mais de penser, dans le déroulement des activités, à faire acquérir les repères qui permettront de construire et d’enrichir différents projets.

. Sensibiliser à la diversité des écrits

Il s’agit de « mettre en appétit », de développer la curiosité. En référence à la production actuelle on peut faire découvrir, de manière ludique chaque fois que c’est possible, différents types de supports (album, roman, documentaire, BD ou encore presse jeunesse, presse d’information, presse spécialisée, et aussi dictionnaire ou fiches d’activités. Le lecteur peut observer les différentes formes utilisées (histoires, documents, jeux, illustrations) et ce qui les distingue : présentation, format, pagination, prix, place de l’illustration, périodicité, qualité du papier, place de la publicité. De la même façon, en référence aux écrits du quotidien, on peut s’appuyer sur la vie du groupe, de la structure pour découvrir différents types d’écrits et la forme utilisée : affiches, courrier, panneaux de signalisation, publicités.

. Découvrir les caractéristiques des différents supports ou des différents écrits

Pour percevoir ces caractéristiques et, éventuellement, faire évoluer l’idée ou la représentation que chacun peut se faire du livre, de la presse, il s’agit de comprendre :

– « de quoi ça parle » : de l’actualité, du passé, de l’histoire des hommes, de la situation des enfants, des techniques,

– « à quoi ça sert » : pour la lecture plaisir, pour s’informer ou se documenter, pour réaliser une activité, pour jouer, pour échanger,

– « comment ça fonctionne » : le sommaire, la table des matières, la une, les rubriques.

. Apprendre à les utiliser

Il s’agit de mettre en valeur les différentes façons d’utiliser les écrits en s’appuyant, c’est essentiel, sur la construction de projets de lecture ou d’écriture individuels ou collectifs. Il s’agit de montrer que certaines réponses peuvent se trouver dans l’écrit. Comment utiliser des livres, des journaux ou magazines, Internet, le dictionnaire, le programme TV, un guide touristique, dans différents projets : rédiger un exposé, rechercher une documentation, préparer une sortie, etc.

Ces projets peuvent en effet naître d’une sollicitation de l’environnement (la journée des droits de l’enfant, la semaine du goût, un événement sportif, des élections, une catastrophe climatique), de la vie du groupe (préparer un dossier pour les correspondants, rechercher des recettes pour un goûter d’anniversaire).

. Mettre en situation de produire des écrits

On peut s’appuyer soit :

– sur les contenus découverts : inventer une autre fin de l’histoire, monter un spectacle de marionnettes, réaliser une revue de presse,

– sur les caractéristiques de tel ou tel support : inventer un conte, créer une bande dessinée, un roman-photo, produire un journal d’information.

5) Des conditions à réunir

. Au plan général

Il convient à la fois de bien connaître :

– le public auquel on s’adresse qui souvent se caractérise par son hétérogénéité. Qui est-il ? Quelles sont ses pratiques de lecture ? Quels sont ses besoins, ses attentes ? Pour cela on peut mettre en place un questionnement dans la structure d’accueil et/ou s’appuyer sur d’autres partenaires (la bibliothèque ou la médiathèque, les établissements scolaires),

– les potentialités de l’environnement dans le domaine concerné (journal local ou régional, radio, centres de documentation des établissements) ou au plan de la politique enfance/jeunesse. Existe-t-il un projet éducatif local donc des orientations éducatives, un diagnostic, des directions d’action ? Y a-t-il des possibilités de partenariat avec des services municipaux, des établissements scolaires, des associations de parents.

. Au plan pédagogique

… Développer des activités adaptées au public visé :

Les activités proposées doivent :

– privilégier le jeu. En effet, compte tenu des conditions d’apprentissage, certains enfants ne considèrent l’écriture ou la lecture que comme des activités scolaires. Il est alors intéressant de les « réconcilier » avec ces activités en utilisant des situations de jeu,

– s’appuyer sur les motivations des enfants et des jeunes en sachant utiliser les écrits du quotidien, ceux qui sont en rapport direct avec les préoccupations de la vie et leurs projets d’action,

– les mettre « en appétit de lecture » (donner l’envie de mettre en œuvre des projets de découverte et d’utilisation de l’écrit pour que, progressivement les utilisateurs acquièrent une autonomie dans ce domaine),

– leur permettre de maîtriser les techniques d’utilisation des différents écrits ou supports.

Il faut aussi penser à valoriser les activités réalisées vis-à-vis des adultes (les parents, les enseignants, la municipalité) et des autres enfants ou jeunes.

… Agir dans le domaine de la formation :

Une formation théorique des animateurs doit permettre de sensibiliser à la production, d’apprendre à l’utiliser, d’apprendre à utiliser l’écrit dans la vie du groupe (et donc dans le cadre d’un stage).

Mais elle doit se compléter par une formation sur le terrain pour apprendre à situer son action dans un cadre plus global, à travailler avec d’autres partenaires (collège, médiathèque, journal local), à utiliser les préoccupations motivations des jeunes (ils s’intéressent à la coupe du monde de foot : on peut écrire des reportages, faire un album souvenir, organiser une journée portes ouvertes à la médiathèque pour découvrir des documents).

. Au plan matériel

Il faut pouvoir en permanence mettre à la disposition des enfants et des jeunes différents supports, différents écrits. Cela doit permettre de les découvrir, d’apprendre à les utiliser et d’y avoir recours dans un certain nombre d’activités.

L’idéal est d’installer un « coin-lecture » dont l’aménagement devra être conçu en fonction :

– des activités que l’on veut pratiquer dans cet espace : lire, écrire, rechercher des documents, produire, échanger,

– des comportements que l’on veut induire : favoriser l’appropriation des supports, responsabiliser, faire participer au choix, permettre de s’isoler, donner envie de,

– de l’atmosphère que l’on veut créer : calme, chaleureuse, studieuse.

L’animation de l’espace doit à la fois permettre :

– d’apprendre à respecter le matériel mis à disposition et à responsabiliser les utilisateurs,

– de s’approprier les règles de fonctionnement de l’espace (prêt ou consultation sur place), le repérage des différents supports (classement, codification), les règles de fonctionnement des différentes propositions (CD, vidéo, Internet),

– de prévoir différents types d’utilisation, individuelle ou collective,

– de faire participer les enfants ou les jeunes à cette animation : présenter de nouveaux supports, rédiger la fiche d’identité d’un nouveau magazine, prendre en charge le prêt,

– de mettre en valeur les supports présentés,

– de mettre en valeur les réalisations produites.

LA PRESSE POUR LA JEUNESSE

Née véritablement au 19e siècle, la presse des jeunes a su, à chaque époque, innover et accompagner avec un succès grandissant le public des enfants et des adolescents.

L’actualisation permanente des différentes formules de presse et la créativité des équipes de rédaction ont permis de constituer dans notre pays une presse sans équivalent au monde, qu’il s’agisse du nombre de titres ou de nouveautés présentés chaque année.

Trois caractéristiques essentielles peuvent être mises en avant lorsqu’on observe la production actuelle :

– sa diversité : plus de 100 titres destinés aux 9 mois/20 ans avec une diffusion annuelle de 150 millions d’exemplaires (plus de deux enfants sur trois lisent régulièrement un titre de la presse jeunesse). Presse distractive et éducative, presse d’activités, presse féminine, presse d’actualité, presse lecture, presse de jeux, toutes ces formes de presse constituent une alternative aux jeux vidéo et à la télévision.

– sa force créative : elle produit chaque année plus de 50 000 pages de création inédites, texte et images.

– La renommée des écoles françaises d’illustrateurs a fait le tour du monde et la presse jeunesse constitue souvent un tremplin pour les nouveaux talents, comme elle a su accueillir, depuis de nombreuses années, des créateurs de tous les pays.

– sa proximité avec les lecteurs : forte d’une communication en profondeur auprès d’eux et d’une relation sur la durée, la presse jeunesse est le seul média pouvant revendiquer d’être « le copain de papier ».

– Le magazine, de plain-pied avec l’univers de tous les jours, est pour les enfants un espace de choix et de liberté, situé du côté des préoccupations et des centres d’intérêt de ses lecteurs. Il leur apprend à sélectionner, à choisir, pour accéder à l’information dont ils ont besoin.

Quelle utilisation dans les loisirs des jeunes ?

On peut s’interroger sur l’intérêt qu’il peut y avoir à utiliser la presse et en particulier la presse des jeunes dans des activités de loisir avec des enfants et des adolescents. Est-ce que cela les intéresse toujours ? Est-ce qu’ils ne préfèrent pas aujourd’hui d’autres médias ? Est-ce que cela n’apparaît pas comme une nouvelle activité scolaire ? Autrement dit : à quoi ça sert ? Est-ce que c’est un support éducatif ? Est-ce qu’ils ont besoin d’adultes pour la découvrir ?

Des éléments de réponse

La presse, dans sa diversité (journaux enfants et jeunes, mais aussi presse quotidienne régionale, journaux sportifs, magazines de mode, programmes télé) font partie de l’environnement quotidien de l’enfant et du jeune.

Si l’on considère que les activités que nous proposons doivent permettre à chaque enfant de découvrir et de comprendre cet environnement, alors il faut donner des occasions de découvrir la presse, de l’utiliser et sans doute aussi d’en produire.

Pourquoi utiliser la presse ?

La presse répond au besoin et à la nécessité d’information, en référence à la Convention internationale des droits de l’enfant (droit de recevoir, de rechercher, de produire des informations), à l’importance de la fonction information dans le fonctionnement démocratique des collectifs enfants/jeunes. Elle prépare ainsi les lecteurs et les citoyens de demain.

Elle est un outil de découverte, de connaissance. Elle permet de mettre « en appétit de lecture » grâce aux différentes entrées qu’elle propose et elle développe ainsi la capacité de l’enfant à construire des projets de découverte par la lecture.

Enseignant désormais retraité, Francis Vernhes est mis à disposition de la Fédération nationale des Francas de 1965 à 1995 et en devient, en 1996, vice-président. Nombreuses opérations d’animation, d’information et de formation dans le domaine du livre et de la lecture. Directeur des éditions Jeunes Années de 1985 à 1996, Secrétaire général puis président du Syndicat de la presse des jeunes jusqu’en 1997 et chargé de mission de ce syndicat jusqu’en 2009, Francis Vernhes fut, pendant 15 ans, membre de la Commission de surveillance des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence. Il est coordinateur de l’ouvrage collectif Lire à loisir, loisir de lire (INJEP, 1987) et du fichier d’activités Jeux de lecture et d’écriture (Francas). Merci à lui pour nous avoir confié ce texte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ay Buéno ! ou Le Petit Livre Bleu par un bleu de la BD

 

En entendant et en lisant la masse des critiques de personnes qui n’avaient pas pu potentiellement lire Le Petit Livre Bleu (vu les dates de disponibilité de l’ouvrage chez la très grande majorité des journalistes et des libraires), on était tenté dans un premier temps de se rappeler l’épisode où Boris Vian recevait des centaines de lettres d’injures d’anciens combattants qui s’étaient persuadés qu’ils étaient visés par J’irai cracher sur vos tombes. Ce n’est pas la premières fois qu’un universitaire (ou assimilé) francophone se penche sur un héros de BD et médiatise ses recherches. Le travail d’André Stoll intitulé Astérix : L’Épopée burlesque de la France publié en 1974 est le pionnier en la matière ; les réflexions avancées sur la parodie des mythes, le système de valeurs et les identités polyvalentes des Gaulois et Romains ne manquaient pas d’intérêt. Les études de Serge Tisseron sur Tintin et son créateur eurent certains côtés extrêmement lumineux et récemment Jean Tulard proposait une synthèse autour des Pieds Nickelés. Tous ces travaux reçurent un bon accueil auprès des lecteurs assidus de chacune des séries en question.

La différence entre ces trois auteurs et Antoine Buéno est de taille : les premiers ont une culture bédéistique au contraire du dernier. Il semblerait que les lectures en matière de BD se limitent chez Antoine Buéno uniquement aux ouvrages en album de Peyo (et qu’il n’a même pas une connaissance du support d’origine des Schtroumpfs). Ceci a des conséquences énormes car considérant que ce qu’il ne connaît pas n’existe pas, il écrit par exemple : « Fait unique dans l’histoire de la BD, Thierry Culliford, le fils de Peyo, a poursuivi l’œuvre de son père ». Quand on a un minimum de connaissances de l’univers bédéistique, on sait que le scénario de Rahan est passé de Roger Lécureux à son fils Jean-François. Lorsqu’on traque l’univers communiste dans Les Schtroumpfs, le minimum est de connaître les deux héros principaux du journal Pif (l’autre est le héros éponyme), à capitaux venus de Parti communiste français. Même si Babar est de l’histoire illustrée (ancêtre de la BD), un nombre considérable de Français n’ignore pas que Laurent de Brunhoff a pris la suite de son père Jean pour les aventures de cet éléphant. Pour ne pas charger la barque, nous nous abstiendrons de citer des exemples de ce type pris dans l’univers non francophone. Dire que le physique des Schtroumpfs rappelle celui de Mickey laisse perplexe (Florence Cestac, qui se décarcasse avec ses personnages, appréciera cette comparaison à sa juste valeur), on a une BD anthropomorphique et une BD animalière de l’autre côté ; cela permet toutefois de glisser que les Schtroumfs sont un anti-Mickey. Plutôt que d’aller chercher des résonnances du chapeau des Schtroumpfs dans celui des lutins (Peyo désignant ses héros comme des lutins), Antoine Buéno nous parle de bonnet phrygien, symbole révolutionnaire ; la culture historique est plaquée où elle n’a pas à être et manque cruellement quand on en a besoin.

L’auteur ne dit pas un mot du journal Spirou des années cinquante, ignorant totalement ce qu’on pouvait s’autoriser de dessiner (ou être permis par la censure des journaux pour enfants) à l’époque. Pages trente-six et trente-sept on peut lire cette interrogation fondamentale : « Mais ont-ils également un anus et des organes génitaux ? (…) La BD ne nous informe pas sur le point de savoir si ces êtres défèquent ou urinent. » L’univers du Petit Spirou, aux gags très ancrés dans l’univers de la sexualité infantile et le dénigrement de certaines réalités du monde adulte, est très contemporain à nous ; une BD avec de telles allusions est totalement impensable pour les années qui voient la parution des aventures des héros de Peyo dans Spirou. Elle n’aurait pas fait bon ménage avec Les Belles Histoires de l’Oncle Paul, Timour et Jerry Spring. Globalement le journal Spirou, avec en particulier Buck Danny de Charlier, plongeait le jeune lecteur plutôt ouvertement dans l’apologie des valeurs du « monde libre » que dans la dénonciation allusive aux sociétés totalitaires. Antoine Buéno ne se pose pas le problème de la réception des Schtroumpfs, aucun jeune lecteur de 1958 à aujourd’hui ne voit l’ombre de ce que lui imagine et les adultes relisent généralement les albums de cette série avec leurs yeux d’enfants. Après qu’Antoine Buéno ait vu Staline dans le Grand Schtroumpf, il assimile avec un certain arbitraire le schtroumpf à lunettes avec Trotski. Le fodateur de l’Armée rouge a droit à ce traitement à cause de l’indice des lunettes, de son rôle de donneur de leçons et de la quasi-totale hostilité à son égard qui est attribuée aux autres Schtroumpfs. Les camarades du NPA, de LO et du POI alias le PT apprécieront qu’un maître de conférences à Sciences politiques identifie « Le Vieux » à ces trois caractéristiques. En 1958 Staline est mort mais Peyo ne peut ignorer la dimension du personnage, par contre ce dernier n’avait sûrement pas la moindre idée de la personnalité de Trotski d’après la biographie qui est consacrée à l’auteur belge par ailleurs. En fait les références culturelles de Peyo, qui avait fréquenté peu de temps un collège technique, étaient surtout celles du monde de la BD et quand le fils du créateur de la série déclare que le schtroumpf à lunettes renvoie à Agnan du Petit Nicolas, A. Buéno se dispense de nous le faire savoir. On reste confondu devant l’usage de certains qualificatifs qui n’apportent qu’une pincée de vulgarité gratuite comme dans « Ève goûte au fruit défendu et incite Adam à en faire autant (la salope !) ». Quelques pages après, Antoine Buéno nous montre un Peyo ayant une vision traditionnelle du rôle de la femme ; il est toutefois très vraisemblablement exclu que lui ne les ait traitées de « salopes ». La dissertation sur la taille des Schtroumpfs en centimètres, évaluée en fonction de la hauteur de trois pommes mises les une sur les autres, est consternante ; elle s’appuie sur le fait que Peyo avait écrit que ses héros étaient hauts comme trois pommes, expression imagée bien connue de tous mais que Antoine Bueno prend au sens propre.

Les deux pages les plus intéressantes de l’ouvrage sont tirées de la bonne biographie réalisée par Hugues Dayez sur Peyo au sujet de la vision qu’avait le créateur des Schtroumpfs sur la Schtroumpfette. Le passage sur la transposition des conflits entre Wallons et Flamands dans Schtroumpfs verts et Verts Schtroumpfs est très pertinent mais cette réflexion n’est pas à l’origine celle de l’enseignant de sciences politiques. Le titre de cet album provient du belgicisme « chou vert et vert chou » qui signifie « bonnet blanc et blanc bonnet ». Que Gargamel ait un profil qui rappelle les caricatures antisémites, cela est incontestable. Toutefois le physique rapace de ce personnage est là bien plus pour évoquer son désir de s’emparer des Schtroumpfs que pour dénoncer une action néfaste des Juifs. Cette dernière idée ne parle absolument pas au lectorat potentiel ; de plus Peyo votait pour le parti libéral belge qui dans les conflits qu’Israël a connus avec ses voisins a toujours été farouchement du côté de ce dernier. Quant à donner au chat de Gargamel le nom d’Azraël (ange de la mort dans la tradition hébraïque), la connaissance de la culture juive, qu’il implique, incite plutôt à penser que ce choix vient plus d’un philosémitisme que d’un antisémitisme, ce que confirme Ivan Delporte (rédacteur en chef de Spirou et collaborateur de Peyo) ; à l’origine de l’idée, il affirme qu’il s’agit d’un clin d’œil à la judéité de son épouse. Ivan Delporte a d’ailleurs appelé au départ le méchant Gargamel par référence à Gargantua et Pantagruel (héros de Rabelais) ; A. Buéno ne peut l’ignorer mais cela dérangeant sa démonstration, il nous le masque.

Se proclamer « écrivain prospectiviste » sur son site ne dispense pas l’auteur d’une connaissance de l’histoire de la BD et de la presse des jeunes, surtout s’il veut décrire un univers apparu il y a plus de cinquante ans. Le tollé suscité par le contenu de cet ouvrage devrait heureusement nous épargner la publication d’une étude par Antoine Buéno sur d’autres œuvres populaires comme nous le promettait l’auteur. Cet ouvrage trouvera sa place dans les anthologies de la recherche en BD ; il se pourrait même qu’ »Ay Buéno ! » devienne une expression qui signalerait une étude en bande dessinée (ou sur tout sujet littéraire) où l’auteur partirait de présupposés arbitraires et irait à la pêche d’exemples peu significatifs car coupés du contexte de leur création. Cela pourrait être la plus grande gloire de cet auteur mais peut-être aura-t-il aussi tué en France et outre-Quiévrain le secteur éditorial consacré aux études sur la BD … Quant à l’éditeur Hors Collection, il publie l’excellente bande dessinée Calvin et Hobbes de Bill Waterson, dont le tome dix Tous aux abris ! est sorti récemment ; il s’agit de l’histoire d’un petit garçon râleur à l’imagination débordante.

(1) Antoine Buéno, Le Petit Livre bleu, Éditions Hors Collection, 12,90 euros.

Professeur des écoles, Alain Chiron s’intéresse à l’œuvre d’Ernest Pérochon pour les jeunes, aux romans scolaires, aux journaux pour enfants de la période 1914-1918. Il s’intéresse aussi à la littérature de jeunesse francophone, à la bande dessinée, à l’histoire des sections jeunesse des bibliothèques municipales, à l’histoire des musées, à l’histoire de l’enseignement, aux instituteurs pacifistes à la Belle Epoque et aux pionniers de la pédagogie Freinet. Parmi ses publications, plusieurs contributions aux Cahiers Robinson et cinq articles (Fillette, L’Épatant, Le Bon Point amusant, Pérochon, Jauffret) dans Le Dictionnaire du livre et de la littérature de jeunesse en France (à paraître en 2011). Merci à lui pour nous avoir confié cet article.

Rencontre à deux voix

Beaucoup d’enfants et beaucoup de parents, ce mercredi 24 novembre 2010, au Théâtre Olympe de Gouges, à Montauban (Tarn-et-Garonne). Dehors, il faisait beau et, sur la scène, les auteurs-illustrateurs Claude Ponti et François Place…

François Place – On va faire un truc qu’on a jamais fait ! On va se poser des questions ! C’est pas un exercice facile !

Claude Ponti  – Souvent, dans les interviews, je me dis : « Mais pourquoi on me pose cette question ? » Au fait, à quel âge tu as été vacciné ?

François Place – Je ne sais pas. Et toi, à quel âge tu as arrêté de faire pipi au lit ?

( Claude Ponti raconte l’appareillage que ses parents avaient installé pour son frère qui lui, faisait pipi au lit, un système assez agressif, réagissant à l’humidité )

Claude Ponti  – Et toi, le pipi au lit ?

François Place – Jamais ! Jamais !

( Claude Ponti  et François Place ironisent sur leur perfection, même avant la naissance )

laude Ponti – On a des tas de points communs. On a aussi une mère enseignante tous les deux.

François Place – C’est peut-être la même ?

Claude Ponti  – ça m’étonnerait ! Elle est très spéciale ma mère ! Toi, tu as l’air normal ! C’était un hussard noir, ma mère ! Moi, j’ai appris à lire avec la méthode globale intégrale !

François Place – Dis donc, tu crois vraiment à ce que tu écris, toi ?

Claude Ponti  – Ah oui ! Et toi, tu trompes les enfants ?

François Place – Non, mais toi, tu crois que les robinets ont des pattes !

Claude Ponti  – Dis-moi, la première fois où tu as fait des cartes, c’est que tu étais puni ?

François Place – Non, non, j’ai toujours adoré ça. Tu sais, Stevenson a commencé à dessiner la carte avant d’écrire L’Ile au trésor ! Bon, les enfants, vous comprenez ? Au fait, vous connaissez les livres de Claude Ponti ?

( Des enfants citent des titres )

François Place – L’arbre sans fin, c’est un de tes livres que je préfère. Comment est venue l’idée ?

Claude Ponti  – L’idée est venue par le titre : le monde entier dans un arbre. Souvent, on me dit que c’est l’histoire de la disparition d’une grand-mère. Désolé, il me fallait des évènements pour faire sérieux, alors j’ai parlé de la mort d’une grand-mère. J’adorais ma grand-mère, moi. Lorsqu’elle est morte, ma fille a accepté de voir son arrière-grand-mère morte et elle a dit : « C’est rigolo – chez nous ça veut dire : c’est bizarre – il n’y a personne dedans. » Souvent, les enfants disent des choses importantes. J’ai utilisé ça dans l’histoire. Quand j’ai pensé à mettre quelqu’un dans l’arbre, tout s’est enchaîné ! « Moi non plus, je n’ai pas peur de moi. » Cette phrase dans la bouche d’Hipollène répondant au monstre Ortic, a été le moteur ! La mort de la grand-mère est seulement un évènement.

François Place – L’illustration aussi m’a frappé. On a l’impression d’être au milieu des feuilles, il y a un effet de profondeur, l’impression très forte d’être immergé dans l’arbre.

Claude Ponti – C’était un petit coup de chapeau en passant ? Alors attends, il faut que je trouve un truc à te dire de vachement gentil.

François Place – Ah, ah ! le Pontilécheur est un animal qu’on trouve sur scène juste pendant une interview !

Claude Ponti – Je vais parler de ton livre La douane volante. Je me suis retrouvé complètement ailleurs, je me suis senti comme un enfant après la lecture du livre. Cette façon de parler de la réalité en s’échappant, en contournant le monde, c’est la démarche des enfants. J’ai traversé la Bretagne, côtoyé le monde des peintres hollandais – grâce à toi !

François Place – Nous sommes tous les deux intéressés par le phénomène de l’initiation : prendre un personnage, l’entraîner, l’accompagner à travers le monde un peu terrifiant des forêts, de la nuit, des monstres dans les placards et, au bout de l’histoire, le retrouver qui a évolué. Dans Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron, quelques pages m’ont beaucoup ému ! Ces choses qu’on veut apprendre aux enfants, on ne peut le faire que comme ça. Il faut que l’enfant passe par la culture, même dans des univers très différents. Il faut passer par ces chemins là pour grandir ! Alors merci aux libraires, merci aux enseignants ! Avec un livre, on peut se promener dans un lit.

Claude Ponti – Moi je peux te poser une question ? Oui ? Alors, François Place, quel est votre parcours ? (rires)

François Place – Eh bien, je suis passé par ici et … je n’ai pas encore fini de passer ! (rires)

Claude Ponti – Moi je suis content quand j’apprends encore des choses. Faire des livres où on montre que la vie c’est comme ça, qu’il y a des obstacles… Les enfants sont des êtres humains si les parents sont des êtres humains ! Ça s’apprend. Il faut parler, il faut du racontage ! En ce moment, les enfants sont poussés à croire que notre planète est un énorme vaisseau spatial. Mais il a fallu un immense passé ! Les Arabes pour les maths, les Indiens pour autre chose, etc. Il est essentiel que les enfants puissent savoir ça pour grandir plus humains.

François Place – Dis donc, tu crois vraiment qu’on peut avoir des parents comme ceux que tu montres ou tu as pété un câble ?

Claude Ponti – Non, je ne crois pas avoir jamais eu de câble. C’était un moment où j’avais des soucis avec ma mère, ça fait longtemps que j’essaie de m’en débarrasser (rires). J’ai fait un livre là-dessus Le catalogue des parents. La plupart des enfants veulent changer de parents – mais pas longtemps !

François Place – Tu as fait aussi Le livre des frères et des soeurs

Claude Ponti – Ah oui, j’ai fait des études très sérieuses pour ça. Mais j’aurais voulu rajouter des cris ou des odeurs. Tu as eu des frères, toi ?

François Place – Trois frères et deux soeurs ! Mais c’était à une époque où les livres pour changer, ça n’existait pas !

Questions du public :

Un adulte – Vous êtes-vous déjà rencontrés ?

François Place –  Oui, c’est pour ça qu’on a l’air vachement pro. Mais non, c’est la première fois !

Un enfant – Comment vous faites pour dessiner aussi bien ?

François Place – Moi je suis plus dans le détail réaliste. Claude s’adresse à des enfants jeunes. Moi j’ai des textes plus compliqués. Lui son rôle, c’est d’enchanter la vie quotidienne, de vous emmener dans le monde des rêves. Les dessins grand format sortent le monde du livre. Moi qui m’adresse à des plus grands, je fais des dessins qui attirent vers l’intérieur, qui font renter dans la page. Dans nos livres à tous les deux, la lecture est toujours à plusieurs étages. Tu peux revenir plusieurs fois, tu découvriras toujours des choses. Tous les deux, on a envie de perdre le lecteur dans le texte et les images.

Claude Ponti – Tu t’en sors bien !

François Place – Tu n’es pas d’accord ?

Claude Ponti – Si, si ! Chaque livre, chaque histoire doit avoir son propre monde ! Chaque livre est un monde et il faut que l’enfant entre dedans. Moi je m’adresse aux petits qui sont très intelligents !

Un enfant – Qu’est-ce qui a poussé Claude Ponti à faire des bonshommes aussi bizarres ?

Claude Ponti – J’invente des espèces de mélanges de bestioles qui n’existent pas. Les enfants, quand ils lisent, se mettent à la place du personnage et c’est le meilleur costume que je puisse faire !

Un enfant – C’est votre vrai nom Claude Ponti ?

Claude Ponti  – Non, je s’appelle Ponticelli, mais j’ai coupé car pendant longtemps il n’a pas été d’accord avec son père.

Un enfant – Est-ce que vous pouvez expliquer comment vous faites vos livres ?

François Place –  On est tous les deux des illustrateurs alors on pense en images ! (rires) Je travaille une narration dans ma tête. La narration plutôt que le texte-images. Je prends des notes pendant longtemps, je fais des croquis…

Claude Ponti – Moi, c’est évidemment différemment pareil ! Ce qui compte, c’est la narration. En général, je commence par une maquette, des petits croquis, des notes, mais juste quelques pages car je ne sais pas refaire deux fois la même chose. J’ai été éduqué à la perfection immédiate ou tu meurs ! J’ai tous les éléments dans la tête, je fais peu de croquis préparatoires.

François Place – Moi à l’inverse, je fais beaucoup de croquis préparatoires, presque trop.

Claude Ponti – J’ai fait un petit livre avec deux poussins et le A. Des gens me demandent « Quand faites-vous le B ? » Mais non ! Par contre, j’ai reçu des livrets faits par des classes sur d’autres lettres. C’est bien ! Il faut que les enfants s’approprient le monde. Il faut que je me sente bien dans ce que je dessine ! Il faut que j’y sois, même dans le cinqième arrière plan. Comme un enfant. Quand on est adulte, on recherche les émotions qu’on a ressenties en tant qu’enfant dessinateur. C’est plus difficile quand on est adulte, d’être dans le dessin qu’on fait.

Un enfant – Vous avez l’intention de faire d’autres livres ?

Claude Ponti – Oui y a intérêt !

Un adulte – Est-ce que vous peignez toujours ?

Claude Ponti  – Non, j’ai arrêté de peindre quand j’ai commencé à dessiner pour ma fille. J’avais commencé par la peinture, mais je n’aimais pas le milieu. Je ne suis pas très sociable ! Je n’aimais pas trop le fait de vendre mes originaux. Et ça ne me plaisait pas que les tableaux que j’aimais, soient achetés par des gens que je n’aimais pas.

Un adulte – Vous êtes papa tous les deux. Est-ce que vous avez été des pères qui ont entraîné leurs enfants dans leur monde ?

François Place –  C’est un métier où on travaille beaucoup, mais on est à la maison. On est pas toujours disponible, mais on est là. J’étais un papa assez carré, mais mon atelier était totalement ouvert et, pendant plusieurs années, mon fils a eu un coin pour  dessiner près de moi. Mais raconter des histoires à ses enfants, ce n’est pas forcément les entraîner dans son univers à soi.

Claude Ponti – Moi, j’ai été un père normal. Le dos de ma fille est constellé de cicatrices de coups de plume et de pinceau que je lui lançais quand elle venait me déranger ! (rires)

François Place – Mais non, c’est pas vrai !

Claude Ponti – J’étais à la maison et tous les soirs, je racontais à ma fille de petites histoires de son quotidien mises en scène avec de petites bêtes, jusque vers 10/11 ans. Maintenant, elle a un master 2 de philo et elle lit des livres auxquels je ne comprends rien !

Un enfant – C’est une histoire vraie Le mange poussin ?

Claude Ponti – Elle est vraie dans le livre ! Et j’ai toujours un poussin…

François Place – Oui, un poussin qui a 32 ans !

( Applaudissements chaleureux, échange réussi, rencontre vraiment plaisante )

 

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

Si le temps m’était conté : le temps qui passe, le souvenir, la mémoire

    L’album comme le roman est un art du temps. Il ne se borne pas à présenter au lecteur une temporalité uniquement liée à la succession des évènements qui forment l’intrigue. Les temps internes à la fiction entre en conflit d’ordre et de durée avec la narration qui leur sert de véhicule. Laissons de côté les temps externes : le temps de l’écrivain, le temps du lecteur, le temps historique pour nous attacher à quelques dimensions des temps internes : le temps de la fiction, le temps de la narration, le temps de la lecture. La présence du temps et son passage sont souvent suggérés par les changements atmosphériques, les modifications apportées par une saison, une action humaine (Dans Au petit bonheur, le peintre achève l’enseigne de page en page). La transformation des lieux est plus ou moins suggérée, de même le vieillissement des personnages (Tour de Manège). La datation s’effectue parfois par rapport à un évènement historique fortement appuyé dans les illustrations (Rose blanche, L’étoile d’Erika, Le temps des cerises).

    L’auteur peut faire le choix d’une indétermination du temps, commencer par il était une fois sans pour autant écrire un conte. Dans Les Trois Clés d’or de Prague, Peter Sis joue avec cette indétermination. L’album se situe initialement par rapport au futur du narrateur. Il commence par une lettre venant de New York, adressée à Madeleine qui n’est encore qu’une « petite fille joufflue » : elle ne sera en mesure de comprendre le sens de la lettre et de l’album qu’au « XXIème siècle ». L’histoire proprement dite commence également comme une lettre : « Madeleine ». Au lieu de choisir un déplacement temporel, le narrateur choisit un déplacement spatial : il se trouve soudain transporté à Prague, en montgolfière. Il reconnaît la ville de son enfance et, au présent de l’indicatif, évoque ses souvenirs. Il n’y a pas, à proprement parler, d’histoire chronologique… tout au plus un prétexte à visiter la ville : il s’agit en effet de retrouver les trois clés – liées à des contes d’enfance – qui ouvriront les trois serrures de sa maison natale. La dernière page propose un raccourci temporel. Dans la maison, on discerne le fantôme des parents, la mère à la cuisine, le père lisant son journal. Le texte dit : « J’entends ma mère (…) le dîner est servi ». Comme si le passé lointain se nouait avec le présent où Madeleine est une petite fille …

    Chaque auteur/illustrateur a sa façon de rendre sensible le déroulement du temps, y compris en exploitant la matérialité du livre : album tout en longueur (Moi, j’attends), lecture dans un sens puis dans l’autre, quatrième de couverture qui invite à poursuivre le récit, à le reprendre en boucle. En ce qui concerne la gestion du temps dans les histoires des albums, il faut s’attacher aux deux aspects que sont l’ordre et le rythme des actions dans le récit pour montrer comment ils sont rendus visuellement. Dans la très grande majorité des albums, le récit se déroule de manière linéaire et les illustrations se suivent donc chronologiquement. Mais il existe bien des albums avec des flash-back. Il est alors intéressant de remarquer comment ces retours en arrière sont exprimés graphiquement. Dans une image, le rythme peut être exprimé grâce à certaines techniques de dessin qui sont aptes à donner un sentiment de plus ou moins grande vitesse : le style plus ou moins nerveux du trait, la plus ou moins grande netteté du motif, l’utilisation ou non de la perspective ou encore l’usage de techniques couramment utilisées dans les bandes dessinées (traînées de vitesse, effets stroboscopiques). S’agissant d’une succession d’images, il existe différentes techniques bien connues de la bande dessinée qui permettent de rendre la vitesse des actions qui s’enchaînent. Ainsi l’album est une initiation au temps, à travers texte et image.

    Le projet esthétique n’impose aucune limitation aux figures du temps qu’il cherche à objectiver au moyen de signes graphiques ou chromatiques et sous une forme accessible au regard. En revanche le calendrier, forme prise par quelques albums (Bientôt Noël), ou présent en partie dans les illustrations institue une image publique et utile du temps. Il semble totalement voué aux temps cadres puisqu’il s’applique à la mesure collective de la durée et à la prévision des intempéries. Ces deux modalités de la représentation se chargent, par contre, de donner une vue concrète et même figurative d’un objet que l’on présente généralement comme une notion abstraite ou un concept flou.

    Mais les albums présentent aussi l’idée de temps en rendant plus facile à l’enfant la compréhension de ce concept abstrait ; l’histoire favorisant l’étayage de la réflexion. Les livres de jeunesse proposent une mise en forme d’un monde et la fiction, en donnant une image du monde, donne un modèle pour penser ce dernier. Michel Piquemal dans la préface à son livre Les philo-fables parle du texte comme « un support narratif » pour « dialoguer avec l’enfant » car écrit-il : « il est difficile d’appréhender par exemple les concepts de liberté et de justice de manière abstraite. Mais il est plus facile de le faire à partir de l’apologue de Diogène et les lentilles ou de la célèbre fable de La Fontaine, Le loup et le chien, ou bien encore à travers le personnage mythique d’Antigone chez Sophocle. Ces récits nous posent de vraies questions. Pour le concept de temps il nous vient rapidement en mémoire Le lièvre et la tortue, mais aussi des reprises de ce thème dans des albums. Temps, argent, conception du bonheur sont ainsi associés dans Le voyage d’Henry.

    Bien des albums illustrent l’idée de durée, de cycle, de rythme,  parce qu’ils fonctionnent avec une structure comme la randonnée par exemple, des rythmes comme dans les comptines. D’autres, destinés à des enfants plus âgés ouvrent sur une vision du temps qui passe inexorable, sur la force du souvenir.

    Misto tempo est sans doute l’album incontournable par rapport au temps, parce qu’il en présente toutes les facettes. Il illustre parfaitement cette difficulté à penser le temps, le désir de l’Homme qui a toujours cherché à l’arrêter (suspendre son vol ; prendre des vacances). On pourra noter que Misto Tempo ne vieillit pas : il ne peut s’arrêter, il ne peut donc pas mourir ( « longue vie Misto Tempo ; il ne connaît pas le poids des ans » ). Les hommes essaient depuis des siècles de mesurer le temps. Misto tempo est là depuis toujours, aux côtés de la Lune et du Soleil, marchant comme un funambule sur les fuseaux horaires, ne se laissant ni suspendre, ni arrêter, ni ralentir, ni étirer… Il loge dans le balancier d’une grosse horloge, il est l’ami des pendules, des montres, des coqs et même du coucou qui sort de sa boîte. L’album file les expressions relatives au temps : celles comprenant le mot temps (remonter à la nuit des temps, être dans l’air du temps, faire quelque chose en deux temps trois mouvements, venir en un rien de temps…) et celles dans lesquelles le mot temps est absent (aller bon an mal an ; les lendemains qui chantent ; partir aux aurores ; vivre à la petite semaine ; depuis des lustres ; ce n’est pas demain la veille…). Le récit débute à une heure et se termine à vingt-quatre heures et ainsi la boucle est bouclée. C’est le renouvellement de cette mesure qui permet au temps de poursuivre son chemin. Le temps a traversé tous les âges (« il a connu tous les rois ») et il concerne toute la planète (l’homme noir, le Tibétain).

    Exister dans le temps, c’est être soumis à cette loi du devenir qui est par nature paradoxale : une succession, un changement. Le temps est la manière même dont nous percevons le changement. Le temps est lié à notre condition humaine, à notre finitude.

    Avec l’expérience de l’attente, le temps est tantôt ce qui semble  se dilater, se contracter. Nous percevons la continuité et l’épaisseur quasi-matérielle d’une durée. C’est ce que Serge Bloch nous fait ressentir lorsqu’il figure dans Moi, j’attends,  l’étirement de l’attente et du temps qui passe. Le lecteur suit le bout de fil rouge, le fil de la vie, dans des pages ou l’attente est à la fois pleine de tristesse et d’espoir. L’attente, la difficulté    de se représenter le temps qui passe, l’oubli, le chagrin se trouvent mêlés dans Je t’aime tous les jours. Le temps qui passe est noté par les saisons. Ainsi dans Lundi  de Anne Herbauts un pingouin a deux amis, Théière et Deux-Mains qui viennent le distraire de son attente du jour suivant. Ensemble, ils jouent du piano, passent du bon temps, le printemps, l’été, l’automne. Mais l’hiver arrive avec son souffle glacé et un mauvais présage. Sous le relief de la neige, le pingouin s’efface peu à peu jusqu’à disparaître. Mort, son souvenir s’imprimera en creux dans les pages pour rester tout près des lieux et des êtres aimés.

    Dans Feng, fils du vent de Thierry Dedieu, le jeune asiatique, cherche auprès de son maître, le secret du cerf-volant le plus stable, le plus maniable, le plus véloce. Il acquiert peu à peu un savoir-faire qui lui vaut des honneurs. Mais il sent que son art n’égale pas encore celui de son maître. Il doit encore chercher, redouble d’efforts mais rien n’y fait. Ses cerfs-volants caressent les nuages mais ne volent jamais au-dessus des cieux jusqu’au matin où l’âme du maître défunt quitte le monastère emportant avec elle une des extrémités de la corde du dévidoir. Le récit illustre le fait qu’il faut une vie pour apprendre, pour faire et parfaire. L’expérience humaine s’inscrit dans la durée. Les gens pressés ne peuvent trouver le bonheur

    Les évènements de la vie se succèdent sans toujours pouvoir être décryptés. Il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Ce qui est proche et ce qui est loin. Ce qui est vraisemblable, ce qui est rêvé. Les éléments et les souvenirs s’entremêlent. Dans Le chemin bleu, Anne Brouillard propose un travail de la mémoire, de l’envie au désespoir, du rêve aux aspirations déçues. Par une succession de va-et-vient, elle invite son lecteur à suivre ce cheminement, ce parcours de vie. Le temps est la pulsation même du vivant. L’impossibilité de revenir en arrière rend possible le projet. C’est l’avenir qui permet de donner un sens au passé. Le temps est ce qui mesure l’homme et ce que l’homme forge à sa mesure. Le temps est disparition du passé et inexistence de l’avenir. Mais l’existence humaine fait de cette loi, la trame d’une vie. C’est cette conception que nous retrouvons dans Longtemps de Claude Clément et Jame’s Prunier.

    La mémoire n’est pas seulement conservation du passé, elle est aussi ce qui fait se rejoindre en nous une multiplicité de sensations et c’est bien ce que l’on retrouve dans bien des ouvrages de Béatrice Poncelet comme Chaise et Café. Le temps altère les choses, la vision du texte s’altère. Dans Les Cubes, on peut savourer un très beau travail sur le souvenir et la mémoire. L’enfance qui n’est plus, se trouve dans le temps passé, qui n’est plus; mais quand l’auteur l’évoque et la raconte, il regarde son image dans le temps présent car elle est encore dans sa mémoire. Le livre est aussi un bel hommage à la mère, à toutes les mères. Car ici les cubes, ces  « dessins de côté » sont comme d’instants d’une seule et même histoire : celle où s’installe la vieillesse, celle où on se remémore les instants joyeux de la vie, celle où l’on fait véritablement, de manière intime, acte de mémoire. L’individu appartient au temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. Avec Chez elle ou chez elle, la relation entre souvenir et mémoire est posée tout à la fin. La petite fille se demande ce qu’elle retiendra volontairement, et ce qui lui reviendra malgré elle de cette enfance qui la faisait aller chez lui, chez Elle, chez elle, chez eux.

    Le thème de la vie qui constitue la meilleure objectivation du temps vécu (time of live) est connoté par les images de la vieillesse et de la mort. Bien des albums abordent cette question du cycle de vie. Trois éléments importants sont souvent présents pour permettre aux personnages de dépasser leur peine : la participation du défunt au cycle de la vie ; la transmission. Ainsi, dans Reviens Grand-mère, Bessie grandit, a une fille qui a les yeux verts et les taches de rousseur de son arrière-grand-mère et apprivoise les oiseaux comme elle.  « C’est comme si Grand-mère n’était jamais partie ». De même,  dans Ce changement-là, le père taille les haies du jardin que le grand-père entretenait. Et les enfants dans Au revoir Grand-Père vont nourrir ses poules. Le message qu’une vieille femme sur le point de mourir à un jeune Indien dans Croissant de lune chante le récit de sa vie après lui avoir enseigné son savoir-faire. Lorsqu’il comprend qu’il ne la reverra pas, il se sent triste mais calme et plein d’espoir. Dans Où est parti Baltus ?, la transmission est symbolisée par la petite valise de prestidigitation que Baltus offre au narrateur et qui lui permettra d’apprendre des tours de magie à son frère. La fillette de Grand-Père est mort écrit à son grand-père pour lui dire au revoir. Elle évoque son souvenir, sachant qu’il restera toute sa vie dans son cœur. Enfin, elle lui écrit pour lui raconter son rêve, où elle s’est envolée comme un oiseau jusqu’à son nid. Dans Au revoir Grand-Père,  les moments de tendresse et de complicité entre les enfants et leur grand-père reviennent en mémoire aux enfants, qui croient entendre sa voix dans le murmure du vent, tandis qu’un air d’accordéon leur rappelle qu’il est toujours vivant dans leur mémoire. L’enterrement est aussi une occasion de venir dire au revoir pour les enfants et de se souvenir des bons moments passés ensemble. Ils ont cueilli des fleurs du jardin, puis vont nourrir les poules, façon de prolonger les gestes et la mémoire du grand-père tout en rendant hommage au travail qu’il accomplissait. Quand le vent murmure, ils croient entendre la voix de leur grand-père, et communiquent avec lui par delà la mort. Lorsqu’ils entendent un air d’accordéon ils comprennent qu’il sera toujours vivant dans leur mémoire.

    Qu’il s’agisse de garder le souvenir ou de le retrouver, la mémoire est opposé à l’oubli, synonyme de perte et de destruction, mais aussi parfois de libération. A l’ambivalence de l’oubli, correspond celle de la mémoire. Survalorisée, elle est le signe de puissance intellectuelle. Mais elle est aussi poids, lourd à porter pour ceux qui s’enfermeraient dans leurs souvenirs et ne peuvent plus envisager l’avenir Le propre des durées individuelles est qu’elles possèdent un contenu différent pour chaque conscience.

   tempo

Anne Rabany est membre du CRILJ depuis 1975. Elle a trouvé auprès de cette association les ressources et les accompagnements nécessaires à différents projets qui ont jalonné sa carrière : pour la mise en place des BCD, la formation des personnels lorsqu’elle était Inspectrice départementale puis directrice d’Ecole normale, pour l’animation et le suivi des Centre de Documentation et d’Information des collèges et des lycées en tant qu’Inspectrice d’Académie, Inspectrice Pédagogique Régionale Etablissement et Vie Scolaire et, actuellement, pour préparer des cours en tant qu’enseignante au Pôle du livre de l’Université de Paris X.

Il était une fois …

 

 

 

 

 

 

   En 1968, la municipalité de Saint-Pierre-des-Corps et Odette Vieilleribière, enseignante consciente que les livres de lecture scolaires ne suffisent pas à développer l’envie et le goût de lire chez les jeunes enfants, entreprennent un travail sur la littérature de jeunesse et invitent des auteurs à participer à des rencontres avec les élèves dans les classes. L’Inspection Académique refuse cette intrusion dans le système scolaire. La rencontre se fera, mais hors-temps scolaire, dans un local municipal. Ce sera le premier contact entre enfants et auteurs dans le département d’Indre-et-Loire.

   Michel Mesmin, détaché à la Fédération des Œuvres Laïques, organise en 1971 la première exposition de livres de littérature de jeunesse dans les locaux de la FOL et une autre à la Bibliothèque Municipale de Tours. En 1972, c’est le bibliobus qui fait transiter la sélection à Rauxigny, Preuilly sur Claise, Ligueil, Sainte-Maure de Touraine, le Grand Pressigny, Descartes, Manthelan, l’Ecole Normale de Filles, Château La Valière, une école de Tours, la MJC de Joué-les-Tours et Château-Renault. En plus de l’exposition-vente et des rencontres avec les auteurs, se tenaient sur les lieux d’accueil des débats publics sur des thèmes en rapport avec la littérature de jeunesse.

     A cette époque, les comités de lecture n’existaient pas encore et la sélection utilisée  était la sélection Lire établie annuellement sous l’égide du Cercle de la Librairie. Les comités se mettront en place en 1974-75. Des enseignants, bibliothécaires, documentalistes, parents d’élèves se réunissent à la Bibliothèque Municipale de Tours avec la soutien de Monsieur Fillet, directeur de la Bibliothèque Municipale et de la Bibliothèque Départementale, et de Mademoiselle Jacquet, responsable du secteur jeunesse.

     Les partenaires d’alors sont : la Fédération de l’Education Nationale, le Syndicat National des Instituteurs, la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves, les Francs et Franches Camarades, la Bibliothèque Municipale de Tours, les librairies Terre des Hommes, Gambier, Caillet, Universitaire, de Tours, et Breton, à Loches. L’Inspection Académique soutient finalement l’opération.

    Odette Vielleribière déclarait, à propos de la toute première rencontre avec un auteur : « C’est dans une cantine scolaire, à l’heure du déjeuner. Les regards de Bernard Clavel et des enfants ont été une confirmation pour les organisateurs de la valeur de la manifestation. »

( introduction au Catalogue 2010 réalisé par la Ligue de l’Enseignement d’Indre-et-Loire et publié à l’occasion du 40ième anniversaire de la Quinzaine du Livre Jeunesse en octobre 2010 )

 

quinzaine

La Quinzaine du Livre Jeunesse n’a plus rien d’une « quinzaine » puisque ses rendez-vous sont désormais fixés sur toute l’année. Ses objectifs sont les suivants : développer la goût de la lecture chez l’enfant dès le plus jeune âge pour qu’il deviennent un lecteur adulte ; faire connaître la littérature de qualité sans oublier les ouvrages parus dans les petites maisons d’édition ; organiser des rencontres entre les auteurs, les illustrateurs, les éditeurs et les jeunes lecteurs ; faire connaître les lieux de lecture publique et en favoriser le développement. Les comités de lecture qui établissent la sélection annuelle rassemblent une soixantaine de lecteurs.